En Inde, les oeuvres des peintres d’enseignes, devantures et panneaux de publicité en tout genre font naître un paradis terrestre, à toucher des yeux et à portée de main.
Les peintres d’enseignes des rues d’Inde l’ont compris : le paradis ne se trouve pas là-haut, mais ici-bas, au bout d’une impasse menant à un marché, dans l’arrière-boutique d’un grossiste, sur les rayons d’un kiosque, entre deux klaxons de camions et sur les murs décrépis d’une maison. Méconnus pour les grands artistes qu’ils sont, les sign painters offrent aux habitants et aux passants des villes indiennes un paradis inégalable : en un coup de pinceau, ils ouvrent les portes d’un univers de désirs à portée de main, où il suffit d’une pièce et d’un coup de pouce pour se voir comblé. L’archive de plus de 10 000 images de leurs enseignes, devantures, pancartes, panneaux et muraux, assemblé pendant trois décennies par la photographe et cinéaste indienne Aradhana Seth, témoigne de leur vision aussi multiple qu’unique.
UNE NATURE PEINTE À L’ÉTAT PUR
Car contre l’imagerie publicitaire contemporaine, qui fait de la reproduction par centaines du cliché mondain d’un bien son ultime représentation, les sign painters font naître à la croisée du réel et de leur imagination autant de représentations idéalisées des objets affichés. Sous leurs pinceaux, les rues se transforment en un immense cabinet de curiosités à contempler, vendre et acheter, où rien ne manque et tout est parfait. L’ananas peint à l’entrée d’une épicerie est le plus doré du monde, la chaussure à talon sur la devanture d’un cordonnier ne peut qu’être celle de Cendrillon, la machine à laver clinquante du lavomatic voisin nettoierait jusqu’aux plus sombres des secrets, tandis que la gigantesque clé sur la porte d’un serrurier ouvrirait sans doute les portes du paradis tant ses petites dents de scie et ses parfaits arrondis font d’elle la clé par excellence – et qu’importe si elle est dix fois trop grande pour ouvrir le cadenas qui l’accompagne : meilleur cadenas sur terre, il ne s’ouvrirait pas aux inconnus que nous sommes.
*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*