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FIFOU, PHOTOGRAPHE LÉGENDAIRE DU MONDE DU HIP-HOP

Par ZOE TEROUINARD

Derrière lui, Fifou laisse des centaines de pochettes d’albums, contribuant à façonner l’esthétique du hip-hop made in France. Un travail qui s’est peu à peu mué en une démarche artistique à part entière, explorant les limites du médium photographique et réconciliant deux mondes trop souvent opposés : le rap et l’art contemporain. Pour cette Karte BlancheCitizenK est allé à la rencontre d’une véritable légende.

Cela fait des dizaines d’années que tu documentes le hip-hop. Comment en es-tu arrivé à développer une pratique autour de cet univers musical ?

Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est d’avoir deux passions : les arts plastiques, visuels, et le hip-hop. Très jeune, j’ai eu envie de concilier les deux et de devenir mon propre patron. Et ça s’est fait naturellement, mais avec beaucoup de travail aussi.

Comment arrives-tu à concilier ton éthique d’artiste visuel avec une pratique plus commerciale ?

C’est toujours ce qu’il y a de plus difficile : trouver le bon équilibre entre ma vision artistique et la demande d’un·e artiste. Moi, je me considère comme un artisan, voire parfois comme un cordonnier. On me confie quelque chose d’existant, et c’est à moi d’apporter ma touche, tout en restant fidèle à l’univers de l’artiste.

Il faut vraiment garder cet équilibre, car on peut vite se perdre. C’est pour ça que j’ai créé mon studio, pour avoir plus de liberté et pouvoir, quand je le décide, explorer un univers personnel. En fait, ma vie c’est ça : je réponds à des commandes, je suis un prestataire visuel, mais je dois veiller à ne pas m’y noyer.

Comment définirais-tu ta vision, ton univers ?

Je suis un grand curieux. J’aime plein de styles différents, notamment en photo. Le reportage, le documentaire, ça me parle depuis toujours. J’adore partir quelque part, ce que j’appelle “la ride” : rider à travers le monde. Mais ce que j’aime par-dessus tout, et qu’on retrouve dans mes pochettes, c’est la mise en scène. Je me considère autant photographe que metteur en scène.

J’utilise beaucoup de techniques différentes : scénographie, collaborations avec des set designers pour créer des décors irréels en studio… Et puis je peux, du jour au lendemain, partir au Gabon faire du street reportage.

On te connaît comme photographe, mais tu fais aussi de l’illustration. Te considères-tu comme un artiste pluridisciplinaire ?

Complètement. Ma première passion, c’est l’illustration, et c’est elle qui m’a ouvert toutes ces portes. Je suis tombé amoureux de la photo un peu par hasard. Je collaborais souvent avec des photographes, surtout dans la mode, et j’ai fini par me prendre au jeu. J’ai commencé humblement, sur le côté.

Ce qui m’a aussi beaucoup aidé, c’est d’avoir travaillé dans la presse hip-hop des années 2000. À cette époque, on touchait à tout. J’étais maquettiste et graphiste, mais si, je sais pas, Le Roi Heenok débarquait à l’improviste, il fallait faire une photo. C’est comme ça que j’ai mis un pied dans la photo, en autodidacte. Et puis, petit à petit, c’est devenu mon métier. C’est allé très vite pour moi.

J’ai appris sur le tas. Je crois que ma première séance en studio, c’était avec Kool Shen. Je tremblais, je savais que je n’étais pas photographe ! Mais j’ai toujours eu cette curiosité, cette envie de tester. Aujourd’hui, c’est la 3D qui me titille, je me forme… Je crois que je n’arrêterai jamais d’apprendre.

Justement, tu parlais de tes débuts dans le hip-hop, il y a déjà plusieurs années. À l’époque, t’imaginais-tu un jour être valorisé en tant qu’artiste ? Ou es-tu surpris par ce parcours ?

Moi, dès le départ, j’y croyais. Je ne suis pas vraiment surpris, car le hip-hop est une culture jeune. Il fallait du temps pour qu’elle s’installe. Mais à mes débuts, je ne me posais pas de questions. Pendant quinze ans, j’ai avancé sans recul. J’ai commencé à en prendre avec mon livre. C’est là que j’ai réalisé tout ce que j’avais accumulé. Mais à l’époque, c’était très “carpe diem” : je commençais ma journée comme un médecin, avec des artistes qui défilaient heure après heure. Et puis un an, deux ans… vingt ans.

Quand j’ai commencé, j’étais le plus jeune. Aujourd’hui, je suis l’ancien. Il y a des jeunes rappeurs qui m’appellent “La Légende”, “L’Ancien”. Ça me fait sourire. Ce qui me surprend vraiment, en revanche, c’est de voir jusqu’où cet univers est allé : la mode, le cinéma… Aujourd’hui, même des centres d’art contemporain me contactent. Ça, je ne l’aurais jamais imaginé. Surtout que j’ai toujours vu ces milieux comme très prestigieux, et qu’ils m’ont longtemps boudé. Je suis arrivé comme un “sale gosse”, dans un système très structuré : maisons de disques, agences de graphisme, agents de photographes…

Et moi, j’ai un peu cassé tout ça. J’ai eu pas mal d’ennemis à cause de ça. J’ai bouleversé le marché, on ne va pas se mentir. J’avais 19 ans, je faisais des pochettes à 150 ou 200 euros, et j’étais content. Mais j’avais une vision très “hustle” : je faisais 10 pochettes par jour. À la fin du mois, je gagnais comme un avocat ! Pour moi, c’était dingue de pouvoir vivre de ça, en étant libre, sans patron. Mon vrai combat, c’était ça : payer ma liberté.

Artiste : Fifou
Journaliste : Zoé Térouinard
Vidéaste : Ervin Chavanne