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Enfants de la République du Villaggio Del Fanciullo à Civitavecchia

LA RÉPUBLIQUE DES MÔMES

Par Léa Poiré

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, des expérimentations de villages d’enfants qui s’autogouvernent ont fleuri partout en Europe. Idylliques en apparence, ces “républiques” enfantines retiraient aussi à l’âge tendre toute son insouciance.

Des chalets aux influences Bauhaus se dessinent dans des pâturages verdoyants. L’air est pur, le soleil brille. Chacune des vingt-six maisons porte un nom joyeux : “Les Cigales”, “Pinocchio”. Dans le hameau, le maire a un visage de chérubin, les juges portent des robes de petites filles, les banquiers savent à peine compter, car aucun habitant n’a plus de quatorze printemps. Ceci n’est pas le début d’un conte pour bambins. Au sud du lac de Constance, dans la commune suisse de Trogen, ce village, appelé Pestalozzi du nom d’un illustre pédagogue helvète, a bien existé. Fondé en 1943 sous l’impulsion de l’idéaliste suisse Walter Robert Corti, il abrita jusqu’à 200 enfants, toutes nationalités européennes confondues, se gouvernant, main dans la main.

ÎLOTS DE PAIX POUR ORPHELINS

Nations Unies miniatures, Pestalozzi est l’une des nombreuses initiatives civiques réunies dans L’Internationale des républiques d’enfants 1939-1955 de Samuel Boussion, Mathias Gardet et Martine Ruchat. Les trois chercheurs y retracent l’histoire peu écrite des volontés de reconstruction dans l’immédiat après-guerre et des espoirs d’un horizon radieux pour le Vieux Continent, débarrassé du nazisme et du fascisme. Il faut s’imaginer l’Europe de cette période : des cohortes d’enfants estropiés, déplacés – huit millions en Allemagne, six en Russie, trois en Italie –, abandonnés, sans parents, se retrouvent errant dans les rues. Beaucoup sombrent dans la mendicité et la délinquance. L’Europe craint alors la recontamination de sa jeunesse par les idéologies mortifères encore présentes et mise tout sur des modèles positifs inspirés du courant de “l’éducation nouvelle”, les travaux de John Dewey, Maria Montessori ou Adolphe Ferrière. À l’opposé des orphelinats ou internats aux allures pénitentiaires, cette vaste entreprise entend responsabiliser les enfants, éveiller leur sens de l’autogestion et leur permettre de refaire le monde.

De telles idylles pédagogiques et humanitaires ne sont pas seulement nées de la théorie. Au coeur du Nebraska, le Boys Town fondé par un prêtre catholique pour les jeunes garçons sans-abris existe depuis 1917. Quand il est question d’aider son prochain, l’Église n’est jamais loin. En pleine Seconde Guerre mondiale, justement, John Patrick Carroll-Abbing, un prêtre irlandais qui a fait ses études théologiques à Rome, est mandaté par le Vatican pour venir au secours des civils sur le terrain. En se démenant pour distribuer à des files interminables de femmes et jeunes en haillons de maigres rations dans des gamelles de fortune, il fait la rencontre “providentielle” d’un gamin dans les décombres. Atteint d’une double pneumonie, le religieux aura une révélation et se mettra à délirer sur une “future ville d’enfants, une communauté fraternelle où les jeunes apprendraient à vivre en liberté, dans la tolérance mutuelle, la paix et l’amour. Un lieu gai où l’enfant anti-social trouverait de la compréhension, la confiance contre la tentation du désespoir”.

*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*