Il y a des âmes qui pansent les plaies du monde, qui réparent ce que l’Histoire a brisé. Élise Boghossian en fait partie. Thérapeute, humanitaire, écrivaine, elle navigue entre les zones de guerre et les méandres de la mémoire pour soigner les corps et les esprits.
Fondatrice d’Elisecare, une ONG qui apporte des soins médicaux et psychologiques d’urgence aux victimes de guerre depuis 2013, elle s’attache désormais à exhumer les silences du passé. Dans Les Sacrifiés, son dernier livre paru chez Plon, elle retrace le destin de son grand-père, rescapé du génocide arménien, et interroge les traces invisibles laissées par les traumatismes transgénérationnels. Une enquête minutieuse où l’histoire personnelle éclaire la grande, où l’intime devient politique.
UNE MÉMOIRE EN MOUVEMENT
Tout commence par des fragments : des souvenirs murmurés par sa grand-mère, des bribes recueillies auprès de cousins dispersés, des récits à peine esquissés. Alors, elle creuse. Elle explore les archives de Sivas, rassemble les témoignages de survivants, dialogue avec des historiens. Elle remonte le fil de l’exil de son grand-père, un jeune étudiant en droit arraché à sa jeunesse, contraint de fuir pour survivre. Marqué à jamais par l’errance, il se reconstruit loin de sa terre natale, portant en lui la mémoire des disparus. Élise Boghossian cartographie son itinéraire jusqu’à retrouver la maison des Jésuites dans laquelle il a pu être protégé, elle retrace les routes de déportation et éclaircit notamment le rôle stratégique des chemins de fer germano-ottomans. Lorsque l’Histoire se tait, elle comble les absences par la littérature. Les Sacrifiés devient un texte hybride, oscillant entre enquête et récit, où la mémoire familiale s’étire sur un siècle d’oppressions puisque cet ouvrage ne se limite pas au passé, mais résonne avec une actualité brûlante. Dans un monde où l’épuration ethnique n’appartient plus qu’aux livres d’histoire, l’auteure observe les échos du génocide arménien dans le Caucase d’aujourd’hui. Elle dissèque les mécanismes d’un effacement en marche, décrypte la violence qui se rejoue sous d’autres formes.
*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*