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Chantier du trou de Beaubourg, Paris (4e arr.), 1972

LA VILLE MISE À NU

Par COLINE CHAPTAL

Avant que l’asphalte ne recouvre les pavés de Mai 68 et que Paris n’entame une nouvelle mue, le photographe Léon Claude Vénézia s’est armé de son appareil argentique pour immortaliser la capitale et ses quartiers populaires. Rencontre avec les témoins du passé.

Paris, on semble connaître les mille et une facettes, mais c’est pourtant les mêmes quartiers que l’on retrouve sans cesse photographiés et volontiers dévoilés aux touristes qui se pressent dans les rues dès lors que le beau temps réapparaît. Pour répondre à ces images vues et revues, les archives Roger-Viollet ont récemment exhumé de leur riche fonds les tirages couleurs d’une promenade singulière : celle du photographe Léon Claude Vénézia dans les rues et ruelles parisiennes, présentée aux côtés des photographies de François-Xavier Bouchart qui a lui aussi arpenté l’Est parisien dans les années 1970. 

Né à Paris en 1941 d’un père juif décédé juste au retour de déportation, le jeune orphelin prendra très tôt l’appareil photo comme un instrument total pour l’appropriation de son environnement immédiat. À l’été 1970, Léon Claude Vénézia, dont la vie l’avait jusque-là amené à vadrouiller et rouler sa bosse à travers plusieurs métiers, devient le photographe indépendant qu’il rêvait d’être. Dès lors, ses projets s’orientent vers des sujets sociaux, notamment l’urbanisme et le monde du travail. Celui qui se décrit volontiers comme “amoureux de ce Paris populaire, parcourant les rues et les passages, pénétrant dans les cours et les jardins ” dévoile ainsi un regard singulier, mais surtout vif et coloré, sur la capitale et particulièrement les quartiers de Belleville et s deux villages populaires – devenus quartiers parisiens tout juste cent ans plus tôt – semble persister contre vents et marées bien que leur destin soit sur le point de changer.

Vénézia affirme que “si le photographe se forme au gré de ses émotions, il ne peut ignorer la pratique de ceux qui l’ont précédé”. Au sein des cours de la Société française de photographie, il se familiarise ainsi au travail de nombreux prédécesseurs, notamment américains ayant participé au projet de la Farm Security Administration dans les années 1930. Mais alors que l’on utilise volontiers le “filtre” du noir et blanc pour réaliser ces reportages que l’on dira humanistes, le choix de la couleur de Vénézia peut se révéler d’une profonde vérité. Ces quartiers populaires prennent vie différemment. Certes, nombre de façades délabrées mériteraient un ravalement, mais d’autres dévoilent ainsi de vives couleurs appelant souvent le consommateur dans les bars, cafés et commerces de proximité. 

Les couleurs chatoyantes, so seventies, contrastent avec celles des murs et des ruines qui commencent peu à peu à envahir les quartiers. Là où se trouvaient encore de petits immeubles de quelques étages, en naîtront bientôt de bien plus grands qui caractérisent aujourd’hui le visage de l’Est parisien, si diversifié face à un Paris -majoritairement haussmannien. Pourtant, cette diversité architecturale cache un terrible combat, inégal, mené par les habitants afin de défendre leur territoire : “Les promoteurs tournaient depuis belle lurette autour de ce quartier maintenu en déshérence. Ils ne voyaient dans ces jardins qu’une occasion de construire au plus vite de quoi loger une population aisée. Par chance, la colline était un amas de glaise qui ne permettait pas les constructions modernes, aussi fut-elle transformée en un parc somptueusement arboré, offrant des sentiers, des bancs, des fontaines et des pelouses à la population des boulevards de Belleville et de Ménilmontant. Un miracle d’intelligence si rare qu’il convient de le saluer.”

*Cet article est issu de notre numéro d’Été 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*