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Villa Cavrois, exposition « Humeurs » de Fabrice Hyber, villa et son miroir d'eau depuis le jardin, 2024 © Fabrice Hyber - ADAGP © Photographe - Benjamin Gavaudo

L’ART CONTEMPORAIN SE MET AU VERT

Par ZOÉ TEROUINARD

Paris, c’est fini ? Alors que le plus grand musée d’art contemporain de la capitale, le Centre Pompidou, s’apprête à fermer ses portes, on assiste à un véritable exode urbain de l’art contemporain, qui, comme les Parisiens ère post-Covid, mise sur de petites résidences secondaires dans le Perche ou dans le Morvan. Galeries, musées, festivals et autres initiatives se multiplient en province, comme une tentative de rompre avec le centralisme culturel parisien… Décryptage.

Châteaudun, petite commune médiévale d’Eure-et-Loir de moins de 13 000 habitants. Alors que son château a vu passer Jeanne d’Arc et celui que l’on nomme le « bâtard d’Orléans », Jean de Dunois, c’est aujourd’hui l’artiste contemporaine Suzanne Husky qui prend ses quartiers dans la salle du fort. Invitée dans le cadre du programme « Un artiste, un monument », Suzanne Husky fait le lien entre l’histoire de la tapisserie de Bayeux et la création actuelle.  A l’instar de Fabrice Hyber à la villa Cavrois (59), de Daniel Dewar et Grégory Gicquel au palais Jacques-Cœur (18) ou encore de Tadao Cern à l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue (82), chaque année, l’initiative exporte les travaux de plasticiens habituellement visibles au Palais de Tokyo ou à la Fondation Cartier dans les espaces reculés des zones rurales. À la tête du Centre des monuments nationaux (CMN), Marie Lavandier, 54 ans, ancienne directrice du Louvre-Lens, qui a à cœur de valoriser la culture en dehors du périmètre parisien : « Il faut parvenir à renouer avec des usages élargis, sociaux, économiques, écologiques de la culture dans le monde qui est le nôtre. Il faut cesser de penser en termes de visiteurs et de fréquentation pour penser usage et relation », déclarait-elle d’ailleurs à l’ouverture du Think Culture de l’Université Paris-Dauphine.

Visiter le patrimoine…

Une ambition noble qu’elle n’est pas la seule à porter. Si le CMN est le fruit d’une politique d’État, d’autres acteurs privés, eux, investissent à la campagne pour monter leurs projets culturels. C’est notamment le cas de Jérémie Bellot, architecte et artiste plasticien, qui, en 2020, a racheté le château de Beaugency, érigé au XIe siècle, pour en faire un Centre d’art numérique. Une programmation ultra-contemporaine qui intervient dans le cadre des visites des châteaux de la Loire, comme une surprise. Résultat ? Plus de 20 000 visiteurs annuels se frottent aux installations numériques monumentales qui prennent place au sein de l’édifice classé. Pari gagné pour ce néo-châtelain. Si sa volonté est bien de « composer avec l’existant », d’autres passionnés d’art suivent le mouvement post-Covid de l’exode urbain des Parisiens qui, avec l’expansion du télétravail, s’installent peu à peu à la campagne. Plus même, les professionnels du marché de l’art l’ont anticipé.

Lancée en 2010 par Bernard Utudjian, directeur de la galerie Polaris, l’opération « Une partie de campagne » réunit une douzaine de galeries dans des petits villages le temps d’un week-end fin juin, très attendu par les locaux… et les Parisiens en congé ! Esquelbecq, Chassagne-Montrachet, Saint-Briac, Locquirec ou encore Saint-Émilion deviennent ainsi, durant quelques jours, des centres névralgiques de la pratique artistique contemporaine. « On s’est rendu compte qu’une rencontre avec un artiste en bord de plage ou de port pour échanger sur son travail était le meilleur des endroits, la sincérité du créateur rencontrant la sincérité de l’acquéreur », explique Bernard Utudjian au Quotidien de l’Art. « Campagne Première » à La Plagne, “Panorama” dans la Somme … Les festivals se multiplient, profitant des espaces XXL offerts par les régions les plus reculées de France, tout en permettant à différents publics d’accéder, eux aussi, à une part du rêve.

… et en créer un nouveau

La question de l’espace, les grands pontes de l’art y sont souvent confrontés. En effet, comment exposer une installation monumentale dans un tout petit espace du Marais ? En 2006, la galerie Continua ouvre la marche et mise sur une usine de Boissy-le-Châtel avant de craquer, en 2009, pour une partie de la papeterie de Sainte-Marie adjacente. Si l’une des plus grandes galeries mondiales peut se permettre de quitter Paris, pourquoi les autres ne suivraient-elles pas ? Ainsi, alors que la galerie Christophe Gaillard s’exporte en Normandie, de l’autre côté de la Manche, ce sont les patrons d’Hauser & Wirth qui jettent leur dévolu sur la verte campagne du Somerset, au sud-ouest de l’Angleterre. Avec toujours la même volonté : « créer de l’expérience ».

Une expérience dont s’inspirent les plus grands musées parisiens qui veulent, eux aussi, intégrer de nouveaux publics à leur visitorat habituel, tout en bénéficiant des prix attractifs et des vastes espaces qu’offrent la périphérie et la province. Ainsi, alors que le Grand Palais a installé son Grand Palais Éphémère à quelques pas de son bâtiment historique le temps de ses grands travaux de rénovation, le Centre Pompidou déménage à Massy pour exporter ses collections. Un choix qui, contrairement à celui de la Réunion des musées nationaux, sera pérenne. Ce projet à 105 millions d’euros de budget a pour but d’allier lieu de conservation et de restauration d’œuvres, et permettra aussi d’accueillir des expositions et des ateliers de création contemporaine. Il faut dire qu’avec de nouveaux musées comme le Hangar Y à Meudon (piloté par les pontes de la culture de la fondation Art Explora), la mise au vert de l’art montre que ça fonctionne : 160 000 visiteurs la première année et un immense parc de 9 hectares où les plus grandes stars de l’art contemporain exposent leurs sculptures monumentales. Le statut de capitale de la culture de Paris serait-il menacé ?