Il est impossible de ne pas éprouver le plus grand respect pour Tahar Rahim. Il s’est hissé au premier plan des acteurs français et se révèle, film après film, un artiste d’une aisance et d’une inventivité étonnantes. Quinze ans après son éclosion dans Un Prophète, de Jacques Audiard, pour lequel il reçut d’emblée deux césars, il poursuit une carrière très électrique, échappant toujours à la réduction socio-culturelle des rôles à laquelle ses origines algériennes auraient pu le confiner en France.
Cet automne, l’acteur s’illustre à nouveau dans un grand rôle, celui de Charles Aznavour, monstre sacré de la chanson française, avec lequel il partage quelques affinités : une double culture, le goût du travail, la conquête de Hollywood, une famille nombreuse et même un timbre de voix légèrement voilé. à l’heure de la sortie du biopic, Monsieur Aznavour, réalisé par Grand Corps Malade (Fabien Marsaud) et Mehdi Idir, qui retrace cinquante ans de la vie du légendaire crooner, Tahar Rahim nous a donné rendez-vous non loin des Champs-élysées, chez son publicist, pour évoquer ce tournage qui lui a donné le swing au corps. “Le plus beau de sa vie”, sourit-il.
CitizenK International : Physiquement, vous avez en commun avec Charles Aznavour une douceur dans le regard mais c’est à peu près tout… Comment avez-vous abordé ce rôle a priori loin de vous ?
Tahar Rahim : Il a d’abord fallu travailler la silhouette. Comme Aznavour était beaucoup plus maigre que moi, j’ai fait un comparatif poids et taille. Mesurant 1 m 74, soit dix centimètres de plus que lui, j’ai dû perdre six à sept kilos. Et puis je me suis penché sur son ossature : je me suis entraîné pour mettre mes épaules un peu hautes et en avant comme lui. J’ai aussi relevé mes coudes pour imiter la forme de ses bras. Ensuite, j’ai étudié sa gestuelle et ses mimiques : sa bouche, qu’il mettait tout le temps en avant, et sa manie de cligner des yeux quand il était fatigué. J’ai aussi pris des cours de chant et de piano, six à huit heures par semaine pendant six mois. Ma voix comme la sienne est recouverte d’un petit voile naturel mais il a fallu que je travaille la justesse, le rythme, les aigus… Enfin, trois mois avant le tournage, je me suis mis à parler comme lui pour que son accent et son phrasé deviennent un réflexe. J’ai laissé rentrer Charles chez moi, à la maison.
Véritable laboratoire du jeu d’acteur, le biopic permet de faire cohabiter deux personnes en une. Jusqu’où est allée votre mue ?
L’idée, c’était de se rencontrer au milieu, de voir les deux. Je n’avais pas envie de mimer bêtement, ni de porter un masque et qu’on ne me reconnaisse pas du tout. J’ai dit au prothésiste d’en faire le moins possible jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. Il m’a donc posé des microprothèses. Bien sûr, il y a eu le nez… Charles a eu deux nez puisqu’il l’a refait [dans les années 1950, sur les conseils d’édith Piaf, ndlr]. Au départ, il avait une belle bosse. On a aussi travaillé les sourcils et les perruques en -fonction des époques. Un travail d’orfèvre, quatre heures par jour.
*Cet article est issu de notre numéro d’Automne 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*