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Slut Pop © Kim Petras

Le retour flamboyant de la bimbo

Par Justine Sebbag

Autrefois raillées et un temps ringardisées, les bimbos sont de retour, et notamment dans la pop, où cette image de femme objet a pendant longtemps été celle à fuir. Avec des tenues ultra-sexy et des paroles de plus en plus explicites, une nouvelle génération de pop stars vient bouleverser ce que l’on attendait d’elles jusqu’alors : qu’elles soient belles et qu’elles se taisent. Portée par le regain d’intérêt pour les années 2000 qui n’aura échappé à personne, la tendance est au gloss et aux strings qui dépassent. De Charli XCX à Kim Petras, les starlettes de notre époque adoptent des caractéristiques propres aux bimbos dans le but de revendiquer leur liberté et de se réapproprier leur image. Décryptage de cette « bimbo-ification » de la pop. 

On ne naît pas bimbo, on le devient 

Mai 2022, Kim Kardashian foule le tapis rouge du MET Gala affublée d’une robe beige à sequins qui n’est autre que celle portée jadis par Marilyn Monroe à l’occasion de son légendaire Happy Birthday Mr President. Provoquant un remue-ménage médiatique, le choix de cette tenue est venu piquer au vif les apprentis conservateurs de musées, y voyant là un affront : une star de télé-réalité portant une pièce d’archives à la valeur inestimable. Mais à bien y réfléchir, le personnage médiatique de Kim Kardashian n’est pas si éloigné de celui de Marilyn Monroe à l’époque. Correspondant toutes les deux aux normes d’un physique désirable, on les réduit souvent à cette image, les dépouillant de tout intellect. Réduites à être de « belles choses », lorsqu’elles sortent du cadre lisse qui leur est réservé, en étant victime de revenge porn pour la première ou au cœur d’une infidélité présidentielle pour la seconde, leur sort est scellé : elles ne sont “que” des bimbos. Autrement dit, des chimères sexualisées que les hommes désirent autant qu’ils méprisent et que les femmes exècrent au nom d’un prétendu mauvais goût. Le statut de bimbo est pourtant bien plus ambivalent qu’il n’y paraît : lorsqu’il est imposé, il dépossède, mais, lorsqu’il est revendiqué, il libère. 

Bienvenue dans l’ère bimbo 

L’album Slut Pop de Kim Petras, sorti en février, résonne comme une ode aux bimbos. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que de plus en plus de jeunes femmes affirment être dans leur « bimbo era » sur TikTok. Mais à quoi correspond cette ère des sexy girls dont il est question ? Et surtout, qui sont-elles ? Si à l’origine le terme de bimbo vient de l’italien et désigne un jeune garçon, il se transforme sous l’impulsion de la langue anglaise pour venir décrire une femme superficielle, qui brille davantage par son apparence que par son esprit. Comme d’autres termes péjoratifs, celui de bimbo s’est récemment vu réemployé pour retourner le stigmate. Derrière une esthétique maximaliste ultra-girly, les filles sexy 2.0 prônent un certain lâcher-prise, celui du “no thoughts, just vibes”. Dans la culture populaire, les bimbos ne manquent pourtant pas de ressources. Au contraire, elles jouent de leur apparente stupidité pour arriver à leurs fins. Être sexy confère un certain pouvoir et les bimbos nouvelle génération l’ont bien compris. De plus, être une bimbo en 2022 ne se résume pas à l’apparence physique, c’est un état d’esprit. Sur TikTok, Chrissy Chlapecka est l’une des fières représentantes des séductrices de la Gen Z. À force d’être définie comme une bimbo dans les commentaires sous ses vidéos, elle s’empare de ce terme insultant pour en donner une toute autre définition : celle d’un personnage faussement idiot qui véhicule des idées progressistes l’air de rien et qui ne s’encombre pas du male gaze

Pop star renaissance 

L’arrivée de la télévision et d’internet a largement influencé les habitudes de consommation culturelle dans les foyers. Les jeunes filles ayant l’occasion d’écouter la musique de leur choix se tournent pour la grande majorité d’entre elles vers la pop. Ce genre musical accessible est le parfait moyen de socialiser pour les jeunes filles qui voient en leurs pop stars préférées de véritables modèles. Fascinantes par leur assurance et leur style vestimentaire affirmé, ces dernières cristallisent aussi l’esprit de leur époque. Au début des années 2000, on attend d’elles qu’elles soient de bonnes influences, suffisamment féminines sans être trop sexy. 

En imitant leurs stars préférées, les jeunes filles font l’apprentissage de leur féminité et il serait mal vu que ce ne soit pas celle de la « bonne féminité ». Les jeunes icônes, dont la carrière a débuté très tôt, se voient reprocher de grandir “trop vite” et de se sexualiser, comme en témoigne le backlash en réaction au clip Baby One More Time de Britney Spears. À l’arrivée des années 2010, la pop prend le virage du numérique. En plus d’être des idoles, les pop stars se doivent d’être proches de leurs fans qui ne se trouvent plus qu’à quelques clics. Et surtout, elles doivent se renouveler constamment au risque d’être remplacées aussi vite qu’elles ont été portées au firmament. En 2008, le personnage extravagant de Lady Gaga séduit autant qu’il repousse, ce qui n’est pas sans rappeler la prophétie « bimbo-esque ». Musicalement, elle casse les codes classiques de la pop en injectant de l’EDM dans ses tubes. Esthétiquement, elle ne rentre dans aucune case. Oscillant d’un look rétro-futuriste à une tenue en bouts de viande, Lady Gaga apparaît comme un ovni au milieu de la planète people. Moquée pendant son adolescence, elle prône la tolérance et l’acceptation de soi. Grâce au titre Born this way, elle devient l’idole et la voix des minorités, notamment de la communauté LGBTQIA+. 

Hyperpop, hyperféminité

Il faudra ensuite attendre quelques années avant que les synthés ne reviennent massivement grâce à l’hyperpop. Comme son nom le suggère, l’hyperpop est une version maximaliste de la pop. À la fois une parodie et un hommage aux années 2000, l’hyperpop assume son côté too much avec des productions léchées, des synthés peu subtils et des voix ultra-modifiées. Visuellement, c’est un mix and match de toutes les cultures ayant vu le jour sur internet. Entre l’élection de Donald Trump en 2016 et la pandémie de Covid-19, l’hyperpop apparaît comme l’exutoire parfait de la jeune génération face à une période anxiogène. 

Avec des figures de proue gender fluid comme la regrettée SOPHIE, Arca ou Dorian Electra, le genre offre une place aux artistes qui ne rentrent pas dans le moule des pop stars traditionnelles. Surfant sur ce vent de liberté, les albums très attendus de Charli XCX, FKA Twigs et Rosalía flirtent avec l’hyperpop. Contrairement aux années 2000, où il était de bon aloi de prétendre ne pas avoir de sexualité, les artistes abordent désormais le sujet sans tabous. À l’instar de Kim Petras qui entonne de véritables hymnes pour une sexualité ouverte et libérée sur son album Slut Pop. De son titre Treat Me Like A Slut à Throat Goat, difficile de faire plus explicite. Tout en réclamant leur liberté, les stars 2.0 affichent une hyperféminité sans s’en excuser. Jouant avec l’esthétique slutcore, elles portent de longs ongles manucurés, des sous-vêtements apparents et des talons hauts perchés. À travers cette performance over the top de leur féminité, elles se rapprochent de plus en plus de l’ethos des bimbos nouvelle génération. Derrière leur apparente superficialité, elles véhiculent des messages d’acceptation de soi et prennent la parole sur des sujets importants. En parlant ouvertement de santé mentale ou encore en braquant les projecteurs sur des organisations d’aide aux travailleuses du sexe, les « bimbo stars » se montrent de plus en plus engagées. Ancrées dans leur époque, elles gagnent en consistance aux yeux du public, ne se résumant plus à leur enveloppe corporelle, et participent à redéfinir une industrie qui n’a pas toujours été tendre avec elles.