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MECANO PHILIA

Par NICOLAS DEMBREVILLE

Les automobiles que l’on aime beaucoup sont-elles capables de sentiments ? La science répond clairement : « Non ! » Mais littérature, BD et cinéma ont un tout autre avis.

L’automobile a ceci de particulier que l’on monte à bord, on s’installe à l’intérieur, on l’habite. Une auto, encore, nous transporte, nous fait vibrer, nous donne des sensations fortes. Vous voyez ce que je veux dire ? Bref, l’auto n’est pas un objet comme les autres. D’ailleurs presque personne ne collectionne les frigos ou les lave-vaisselle, alors que les conservateurs d’autos anciennes sont légion. Ils accumulent leurs beautés roulantes avec prévenance, déférence, presque dévotion. Ce faisant, ces collections ressemblent par certains aspects au “tableau de chasse” des grands séducteurs.

Le rapport entre homme et auto frôle bien souvent (dépasse ?) le lien affectif, voire parfois le rapport amoureux. Ainsi, il n’est pas rare de donner un petit sobriquet plaisant à sa voiture, histoire de la personnifier. Suzy (pour une Suzuki), Topolino (“souris”) pour une Fiat 500, Poly-Polo pour une VW Polo… L’auto devient alors un élément de la famille au même titre qu’un chien, qu’un chat ou qu’un cochon d’Inde. Parfois le rapport est plus ambigu, plus profond. On dit souvent que la galanterie se perd avec les dames mais reste vivace avec les voitures, que certains hommes ont plus de déférence pour leurs autos que pour leurs femmes… Machisme à deux sous ? Pourtant, dans la réalité, la vérité n’est pas toujours si éloignée de la caricature.

TUNING PATHOLOGIQUE

Le courant tuning a déclenché chez certains adeptes des réactions extrêmes. Dans la théorie, cette occupation regroupe des hommes qui transforment, “améliorent” leurs voitures pour qu’elles ne ressemblent à aucune autre. Certains deviennent addict à cette pratique presque autant qu’à une drogue dure. L’excellent film français Voie rapide de Christophe Sahr, sorti en 2011, le montre merveilleusement. Alex, 25 ans, jeune fan de voitures tunées, délaisse peu à peu sa compagne et sa fille au profit de sa Honda Civic chérie qui lui fait vivre des courses et runs  endiablés. Bien entendu, le malheureux claque tous ses ronds dans son “bolide”. Il ne pense plus qu’à cela.

Quand la fiction rencontre la réalité… Des sociologues ont relevé des comportements similaires dans la vraie vie. Des hommes au chômage s’endettent au-delà de toute raison pour apporter un énième équipement superflu ou une pièce inutile à leur auto adorée. Ironie du tuning, les bases de ces transformations sont souvent des véhicules d’occasion en piteux état, plus proches de la casse que du Best of Show (premier prix) de Pebble Beach (concours d’élégance automobile). Ces voitures reçoivent toute l’attention de leur propriétaire alors qu’elles n’ont plus grande valeur. Une forme d’amour passionnel s’instaure. Derrière cette relation pathologique se cachent souffrance et solitude. Ces personnages sont souvent incapables de communiquer, incapables d’aimer.

Quittons la réalité pour la science-fiction avec le film Titane, Palme d’or du dernier Festival de Cannes. Ce long-métrage a beaucoup choqué. Malaises et évanouissements ont interrompu certaines séances de projection. En gros, l’héroïne éprouve depuis toute petite un désir physique pour les automobiles. Arrivée à l’âge adulte, elle assouvit ses pulsions. Elle fait notamment l’amour avec une Cadillac Seville des années 70 et… tombe enceinte. Pendant la grossesse, la jeune mère perd un curieux liquide noir et visqueux : de l’huile de vidange. À la naissance, le bébé s’avère un brin particulier, avec sa colonne vertébrale de métal. L’univers de ce film rappelle dans ses scènes surréelles l’imagerie du Suisse HR Giger, à l’origine de l’esthétique des films Alien.

David Cronenberg a imaginé une forme de sado-masochisme un peu spécial pour son film Crash de 1996. Le héros James Ballard est victime d’un grave accident de la route. Il nourrit dès lors une fascination morbide pour les collisions automobiles et les blessures qu’elles engendrent. Il se lie physiquement avec la passagère de “la voiture d’en face”, elle aussi sérieusement amochée dans l’accident. Ils atteignent mutuellement des sommets d’excitation sexuelle au travers des collisions qu’ils mettent consciencieusement en scène.

AUTO-ÉPRISE

On retrouve cette idée de la jouissance dans l’accident dans la mythique BD RanXerox des années 80. Les auteurs Tanino Liberatore et Stefano Tamburini imaginent Timothy, un personnage falot qui collectionne des photos d’accidents avec des corps de femmes déchiquetés et confectionne ainsi des “albums érotiques”. “Mon rêve c’est de mourir dans un accident de la route en même temps que Brooke Shields et d’avoir un orgasme au moment de l’impact”, explique-t-il. Chacun son truc… Le jeune homme finit dans un accident enfermé dans le coffre arrière d’une automobile. Bon copain, RanXerox lui dit que la conductrice du véhicule d’en face était Brooke Shields. Ce pieux mensonge permet à Timothy d’atteindre un dernier orgasme avant de périr.

Parfois c’est l’auto qui tombe amoureuse. Bien entendu les scientifiques réfutent cette idée saugrenue. “Un objet mécanique n’est pas capable de sentiments.” Heureusement, le cinéma et la littérature n’ont pas une vision aussi rétrécie et bassement pragmatique de la vie. Dans le film Christine de 1983, tiré du livre de Stephen King, une spectaculaire Plymouth Fury de 1953 tient lieu de personnage principal. Sa livrée écarlate rappelle le rouge à lèvres des femmes amoureuses. Un Américain palot la rachète en piteux état et la restaure jusqu’à lui redonner tout son lustre. L’auto va dès lors lui vouer un amour sans borne. Malheur aux ennemis de son propriétaire qui se voient broyés sauvagement par la belle Américaine. “Les histoires d’amour finissent mal en général”, chantaient les Rita Mitsouko. Et notamment avec nos amantes mécaniques.