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LES FOLIES DE FATIO

Par VINCENT POINAS

En quelques années, Maurice Fatio déploya un patchwork flamboyant sous le soleil de Palm Beach.

En octobre 1920, Maurice Fatio embarque à bord de L’Aquitania en vue de relier la côte Est des États-Unis. Né à Genève en 1897, il est le fils d’un respectable banquier suisse aux lointaines ascendances italiennes. Lauréat d’un diplôme d’architecture obtenu à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich, il envisage de poursuivre des études à Paris quand son père use d’autorité pour mieux le convaincre des bénéfices à retirer d’une “expérience américaine”. Aussitôt installé à New York, le bon garçon entre au service d’Harrie T. Lindeberg dont la notoriété est forgée par de pittoresques maisons de campagne. Au terme d’une collaboration de neuf mois, le jeune Helvète quitte déjà son poste pour fonder le siège new-yorkais de sa propre enseigne. L’année suivante, il inaugure une annexe en Floride où l’attend plus géographiquement un grand succès.

Connue depuis peu, l’œuvre de Maurice Fatio plante les décors d’une époque que l’on ne se représente qu’en noir et blanc. Dans l’espace resserré d’une carrière prématurément interrompue, il conduit près de 200 chantiers, dont une majorité est regroupée à Palm Beach, mythique station balnéaire d’hiver dont il contribue à l’essor. Bel homme aux manières charmantes, on le surnomme “the society architect”. En maître du chic et de la douceur de vivre, il gère une affaire dont la prospérité s’avère étroitement liée au carnet mondain. Rares sont par exemple les semaines qui passent sans qu’une gazette locale n’évoque ses derniers exploits. En ce temps, on dit de Palm Beach qu’elle lamine les standards du  luxe hollywoodien. Partout, la splendeur des villas s’abrite derrière d’épais buissons d’orchidées et les palmiers agitent leur coiffe au-dessus d’immenses piscines d’apparat. À la lumière de ces tropiques, certains chroniqueurs vont jusqu’à décrire des femmes davantage flattées qu’à l’éclairage des projecteurs. Partagé entre événements sportifs, dîners de charité et bals costumés, le quotidien réclamait là plus qu’ailleurs encore une scène à la mesure de ces héroïnes magnifiées. 

Quoique inspiré, Maurice Fatio ne fut pas architecte à marquer les annales d’un style rigoureusement théorisé. Quand d’autres de ses confrères opèrent de radicales ruptures pour liquider les codes d’un ordre établi, lui revisite plutôt les grands classiques à la solde d’illustres clients. Au fil des ans et des goûts en vogue, l’architecte injecte à dosage constant de franches références au Vieux Continent. D’haciendas inspirées de la Renaissance italienne aux plus simples bungalows pourvus de lambris du XVIIIe siècle, l’artiste s’associe à tous les jeux sans jamais craindre le mélange des genres. Sur demande, il signe volontiers l’envers décoratif de ses ouvrages. Par sens du service, il supervise parfois même l’embauche du personnel de maison. En dépit de ses faveurs éclectiques, l’homme-orchestre prouve a contrario une indéfectible fidélité à certains principes esthétiques. Ainsi, il prête de très hautes vertus à la symétrie des volumes et revendique le titre de metteur en scène de la vie domestique. Du portail au patio comme du grand hall au petit cabinet de toilette, tout apparaît taillé aux formats et critères du grand écran… Entre autres réalisations d’exception, The Reef sera le point d’orgue de sa carrière. De veine International Modern Style, l’imposante bâtisse lui vaut la reconnaissance planétaire d’une médaille d’or remportée à Paris lors de l’Exposition internationale des Arts et Techniques dans la Vie moderne tenue en 1937. Mais trop vite, la Seconde Guerre mondiale sonne la fin du rêve. L’heure n’est plus à la construction mais à la destruction. En perte d’activité, l’architecte polyglotte choisit d’offrir son renfort au Bureau des Renseignements Américains. Par une étrange concordance des temps, il développe alors les symptômes d’une grave maladie. Maurice Fatio meurt à 46 ans. Au retour de la paix, l’expression du glamour cherchera en vain sa relève.

Maurice Fatio, Palm Beach Architect par Kim Mockler (Acanthus Press).

www.acanthuspress.com