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Lindsay Lohan et Jeremy Scott à Coachella en 2007

L’Indie Sleaze, une nostalgie des années 2010?

Par Nalla El Shekshaky

Rien ne semble arrêter l’accélération des tendances. La nostalgie pour la période 2007-2012, l’Indie Sleaze, montre des signes inquiétants de son retour à peine dix ans plus tard.

Vous rappelez-vous de l’époque où TiK ToK n’était qu’une chanson de Ke$ha ? Avis à tous ceux qui essaient encore de comprendre la tendance y2k (début 2000) et le retour de Von Dutch, vous êtes déjà has been, ou encore « 2000 and late » comme dirait Fergie dans Boom Boom Pow des Black Eyed Peas.

Il semblerait que le pire cauchemar des fashionistas danoises, prônant l’élégance, soit bel et bien en route. J’ai nommé le retour de l’esthétisme des débuts des années 2010, aujourd’hui appelé l’Indie Sleaze. Et oui, nous savions que la mode était cyclique et que l’arrivée de cette nostalgie était une fatalité, mais personne ne l’attendait d’aussitôt, ni n’espérait vraiment ce retour. Il est temps de fouiller dans vos placards et de ressortir vos Wayfarer, votre hoodie American Apparel et vos chapelets Claire’s avant leurs flambées en bourse sur Vinted.

Il est d’abord important de définir l’essence de cette tendance pour savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Apparue à la fin des années 2000 et éteint avec « la fin du monde » de 2012, l’Indie Sleaze se définit comme un pendant plus sexy et festif de l’univers indie, plus « sleaze » qui se traduit comme une forme d’insolence et de nonchalance. En effet, c’est d’abord un état d’esprit mettant en avant la fête à travers une attitude je-m’en-foutiste, hédoniste, provocante, mais tendance, à l’image de séries teen comme Skins et Gossip Girl qui dominaient à l’époque. Opposé au mainstream comme tout mouvement indie, l’Indie Sleaze était un brin hautain et arborait un côté arty et cool sans effort. Né en pleine période MySpace, la scène musicale indie pop, flirtant avec des sonorités électroniques, de Steve Aoki à The Strokes en passant par Crystal Castles et Justice, était au cœur de ce microcosme consacré par l’accessoire ultime, l’iPod Nano.

Une énergie Ibiza version Brooklyn retranscrite à travers un esthétisme très particulier tant dans l’image que dans le style. À la croisée des chemins entre les couleurs saturées des années 80 et l’héroïne chic des années 90, on comptait parmi les must have de l’époque des lunettes de soleil chunky fluo avec ou sans verres, des tops ironiques comme le fameux T-shirt moustache de Eleven Paris ou encore ce bon vieux kéfié qui hante encore votre tiroir. Converse ou Jeffrey Campbell Litas aux pieds, l’Indie Sleazer maniait avec brio l’art de mixer une mini robe de soirée à un gilet à capuche. Une époque unique en son genre où jersey et sequins cohabitaient dans l’harmonie la plus totale. Si votre cerveau refuse toujours de se souvenir de ce traumatisme fashion, nous vous conseillons de vous rafraîchir la mémoire avec des clips vidéos quasi-documentaires de l’époque, tels que Just Dance de Lady Gaga ou encore Good Girls Go Bad de Cobra Starships.

Maintenant que vous avez saisi le vif de cette tendance, vous vous demandez probablement en quoi elle aurait un lien avec notre présent. La trendforcasteuse Mandy Lee, influente sur Tik Tok, a publié en octobre dernier une vidéo sur le média expliquant que l’Indie Sleaze commençait à remontrer le bout de son nez. Pour justifier son propos, Lee prend pour exemple les légendes Instagram inspirées et décousues de Megan Fox ressemblant à s’en méprendre aux citations Tumblr de l’époque ou encore le regain d’intérêt de TikTok pour les sons mash-ups (mélange de deux chansons), grande mode de l’époque. La TikTokeuse a eu en effet du flair. Nous avons repéré pour vous bien d’autres signes avant-coureurs de revirement de tendance.

Les campagnes publicitaires sexy et provocantes

Sexy frôlant le trash, explicites mais subtiles, les images de l’Indie Sleaze ont une patte unique en leur genre, émanant de cet esprit festif et cette provocation quasi-adolescente. Pilier mode de l’époque, le déchu American Apparel, a su s’ériger comme incontournable de la période avec des campagnes publicitaires combinant une liberté sexuelle nonchalante et à leurs basiques iconiques.

Des codes hédonistes et épurés qui peuvent se détecter aujourd’hui dans l’une des dernières campagnes de SKIMS, la marque de lingerie de Kim Kardashian, ayant pour égéries Megan Fox et Kourtney Kardashian. Un aspect « meilleures amies sensuelles » qui rappelle également le shooting de Leighton Meester et Blake Lively, photographiées par Terry Richardson, photographe star de l’époque, pour le magazine Rolling Stones en 2009. Quand les BFF de Gossip Girl partageaient un cône de glace, la photographe Donna Trope va encore plus loin dans le suggestif avec une pomme d’un rouge rubis intense entre les deux stars américaines.

Ce retour de la sensualité provocante peut aussi se repérer dans la dernière campagne Gucci Aria, sortie en septembre dernier. Ayant lieu dans un hôtel particulier, la vidéo joue avec le sexy, le festif, la nudité et le fétiche. La maison a même choisi comme égéries les membres du groupe Måneskin, connu pour son univers grunge et sulfureux, un élément encore une fois très sleaze.

Une ostentation de la fête

Avant que le « YOLO » (You Only Live Once) ne devienne LE hashtag populaire de 2012, il était le paradigme non nommé de toute une génération. Faire la fête sans se soucier du lendemain était en effet le crédo de la période. Une romantisation totale de la débauche où la figure de la « Hot Mess », littéralement « déchet sexy », était reine.

Il fallait faire la fête, oui, mais surtout la montrer. On ne peut parler de la période 2007-2012 sans mentionner le photographe The Cobra Snake. Légende de l’Indie Sleaze, paraître sur ses photos de soirée était une véritable consécration pour tout people en quête de légitimité et de cachet tendance. Prises au flash, sur le vif, ces dernières semblaient capturer les moments les plus fous des soirées les plus cools de l’année.

Après un an et demi de restrictions, le retour de la fête de cet été a créé une déferlante de clichés de soirée sur les réseaux sociaux faisant écho à cet esprit de 2010. Surdocumenter ses soirées redevient à la mode, n’en déplaisent aux clubs berlinois interdisant la prise de photos.

Une tendance qui commence à montrer le bout de son nez du côté célébrités comme le montre les dernières photos de l’Instagram de Madonna, en after-dîner avec Kanye West, Julia Fox et leurs amis. Coïncidence? Peut-être pas. La nouvelle muse de Kanye West, Julia Fox, suivrait le compte instagram @indiesleaze dédié à la période depuis octobre dernier.

Nostalgie d’une technologie désuète

Si un style d’à peine quinze ans peut aujourd’hui se payer le luxe de devenir vintage, c’est en partie en raison des changements drastiques de société, notamment d’un point de vue technologique. Véritable tournant dans nos manières de communiquer, les années Indie Sleaze marquaient le début des réseaux sociaux avec MySpace, Skyblog, Facebook puis Tumblr, mais aussi les prémices du smartphone, avec le premier iPhone et la popularité des Blackberry. Une époque presque révolutionnaire pour toute une jeunesse qui commençait à se définir par son image virtuelle.

Dans son analyse TikTok, Mandy Lee parle également le regain d’intérêt pour les technologies obsolètes comme les écouteurs avec fils récemment vus sur des célébrités ayant sans aucun doute des AirPods comme Bella Hadid ou encore la popularité des appareils photo jetables. Ce constat ne s’arrête pas là. Début 2021, un adolescent allemand de dix-huit ans est allé jusqu’à créer SpaceHey, une plateforme copie conforme du MySpace de 2009. Une sorte de nostalgie d’un temps qu’il n’a vraisemblablement pas connu, prisant cet esthétisme retro et la simplicité de l’Internet de cette époque. Entre insolence et fascination, une nouvelle tendance des Gen Z sur TikTok s’en prend également à un autre must-have musical de l’époque, les iPod Shuffle, utilisés ici comme des pinces à cheveux, sous l’œil horrifié des Millenials, pour qui les lecteurs d’Apple étaient une véritable religion.

Un retour dans l’industrie musicale ?

Coté musique, l’heure est aujourd’hui plutôt propice à une nostalgie pop punk du milieu des années 2000 comme l’incarnent des artistes comme Olivia Rodrigo qui fut même accusée de trop s’inspirer des tonalités de Paramore, groupe punk rock connu pour avoir fait la BO de Twilight. Néanmoins, du Pop Punk à la période Indie Sleaze, il n’y a qu’un pas et au vu de l’accélération des tendances, ce ne serait pas étonnant de voir les prémisses de ce retour sur la scène pop dès l’année prochaine.

En attendant, nous remarquons quand même que 2021 a été l’année du retour de la chanteuse Uffie, grande figure musicale de cette ère. Cette dernière est revenue avec un clip qui semble être une sorte d’Indie Sleaze plus mature et plus chic, mais qui reprend quand même ses grands codes comme la cigarette, les paillettes et le bain. Sky Ferreira, grande prêtresse ésthétique de la période, serait, elle aussi, en phase de comeback d’après sa mère qui a annoncé la sortie de son nouvel album en mars.

Last but not least, nous avons décelé un ultime cavalier de l’apocalypse Indie Sleaze qui ne trompe pas. Après plus d’une décennie de recherche capillaire, Katy Perry est redevenue brunette, comme à ses débuts, au peak de la période. Si Zoey Deschanel est sans conteste la reine absolue de l’univers indie, Katy Perry se place en 2008 comme sa jumelle version sleaze en sortant le scandaleux titre I Kissed A Girl. La chanteuse n’a d’ailleurs jamais contesté cette ressemblance, une confusion qui lui a même permis de rentrer gratuitement dans les clubs de LA à ses débuts a-t-elle avoué l’an dernier. Typiquement sleaze.

Indie Sleaze n’est pas seul, bienvenue à ses cousins Tumblr Girl 2014 et Twee

Si vous commencez déjà à paniquer du retour du col en V et du jean skinny coupant la circulation des mollets, vous n’êtes pas au bout de vos peines, car notre chère tendance de 2007-2012 ne serait apparemment que la partie émergée de l’iceberg. Les chasseurs d’esthétismes de TikTok ne se sont pas arrêtés ici dans le décryptage des années 2010 et ont aussi décelé la mode « Tumblr Girl 2014 » et le « Twee ».

Alors que l’Indie Sleaze repose sur l’amusement, le second degré et la fête, la « Tumblr Girl », également héritière du grunge, prend tout au sérieux, dans une mélancolie digne d’un poète maudit. Entre legging imprimé galaxie, son bonnet « Wasted Youth » et son culte pour Artic Monkeys et Effy Stomen (héroïne de la série Skins), la série Euphoria de HBO, suivant des adolescents jonglant entre amour, drogues et paillettes dans une ambiance néon violacée, semble presque lui rendre hommage.

Quant à la tendance « Twee », elle se définirait plutôt par l’idée qu’on se faisait à l’époque de l’hipster indie classique, fan de Wes Anderson, d’Alexa Chung et rejetant toute forme de culture populaire. Lunettes de vue, tote bag, vinyle à gogo et virée friperie avant que ce soit cool, le Twee était une sorte de preppy à la fois prétentieux et authentique, qui n’a finalement jamais vraiment quitté certains microcosmes indés.

Souhaitons alors à l’hégémonie du y2k une très longue vie devant elle sur les podiums pour retarder au plus possible le retour de l’Indie Sleaze et de ses paires de 2010. Définir l’esthétisme d’une tendance passée est souvent le premier pas vers son arrivée tonitruante sur la scène mode, nous vous aurons en tout cas prévenu.