Karen Elson : une reconversion mélodique

Par LUDOVIC PERRIN

Mieux qu’une crise existentielle, la top britannique Karen Elson s’est reconnectée avec sa première vocation pour la musique pop et folk à travers le prisme de mélodies sanguines.

Qui s’étonnera que cette femme à la chevelure sanguine se lève aux premières lueurs du jour ? “J’ai toujours été du matin, et je le serai toujours.”

Ainsi se définit Karen Elson, top-model issue de la classe ouvrière devenue en un éclair l’une des plus jeunes ambassadrices de la Couronne britannique. Il serait vain de recenser le nombre de magazines qui l’ont consacrée à leur une depuis ses premières photos à l’âge de 16 ans, même si sa couverture du Vogue Italia shootée à ces débuts par Steven Meisel a été déterminante. Tout aussi pléthorique serait l’inventaire des créateurs pour lesquels elle a défilé, de Dior à Yves Saint Laurent en passant par Alexander McQueen jusqu’au film Lightning Strikes dans lequel l’icône anglaise s’est livrée, à 42 ans, à un show à la La La Land sur l’une de ses chansons pour la maison Moschino. En 2005, les British Fashion Awards lui ont décerné le titre de meilleur mannequin.

Durant toutes ces années pourtant, où elle a vu sa vie lui échapper à 30 000 pieds d’altitude, elle a rêvé d’autre chose. “Ce que j’avais en tête depuis le début, c’était de chanter. J’étais toujours entourée de musiciens qui m’encourageaient dans cette voie-là. Mais ma carrière de mannequin avait pris le dessus et je craignais de ne pas être à la hauteur de ce succès avec ma musique. Je pensais que j’avais eu ma chance et qu’elle ne pourrait plus se présenter dans un autre domaine. À l’époque, on ne pouvait pas être à la fois mannequin et autre chose ; il fallait choisir”, relate l’auteure d’un troisième album, Green, à paraître le 28 avril.

L’ex-épouse de Jack White, le chanteur du groupe The White Stripes, s’est cependant octroyée le luxe, entre deux Fashion Week, de se marier, d’avoir deux enfants et de s’imposer comme une des plus fer- ventes militantes des droits des mannequins au sein du syndicat Model Alliance. Une rouge, la rousse ? On ne serait pas loin de le supposer si l’on considère l’impact que son enfance baignée dans le Manchester des années Thatcher a dû avoir sur sa conception des rapports marchands. Elle qui n’a pas hésité à se délester d’agents en vue quand elle sentait le besoin de regagner son indépendance. “J’entretiens une relation d’amour-haine avec ce métier. Sa partie créative me passionne et j’aime me retrouver devant un appareil photo. Mais je déteste toute sa logistique. C’est une lutte permanente où vous devez sans cesse négocier votre valeur et, dans ce rapport de forces, les mannequins ont rarement l’avantage. Être toujours sur le qui-vive, dans un état d’anxiété et d’insécurité : ces aspects du métier m’ont épuisée. Car on a beau s’imaginer que les mannequins roulent sur l’or, la plupart doivent compter sur leurs propres ressources pour rester dans la mêlée. Je l’ai vécu d’autant plus que, compte tenu mon milieu d’origine, je n’avais aucun filet de sécurité.”

En 2020, au début de la pandémie, l’ancienne enfant de chœur s’est racontée dans un luxueux ouvrage paru aux éditions Rizzoli, The Red Flame. Le temps s’était arrêté. Depuis sa maison à Nashville, la chanteuse au teint préraphaélite a repris le fil de son récit au milieu de ses guitares de collection. À 41 ans, Karen Elson n’avait rien oublié d’une enfance dysfonctionnelle dont elle préfère encore se remémorer les instants de bonheur volé plutôt que les crises de panique et les séjours à l’hôpital pour cause d’anorexie. Premier souvenir joyeux, à l’âge de 3 ans : sa mère chantant sur l’album Ziggy Stardust de David Bowie. On en oublierait presque l’odeur de tabac froid sur le canapé pourri du salon pendant que le tourne-disque jouait. “Mon père était aussi un grand mélomane. Beatles, Stones, j’ai hérité de ses goûts musicaux”, évoque celle qui cite Blood on the Tracks (Bob Dylan) et Songs of Love and Hate (Leonard Cohen) parmi ses albums de chevet.

En plein confinement, la musicienne reprend sa guitare et égrène ses madeleines musicales sur Instagram. Cette expérience baptisée Radio Redhead la reconnecte avec sa passion. “J’ai redécouvert l’enfant solitaire qui jouait des chansons dans sa chambre. Je me retrouvais en plein chaos, étrangement en paix avec moi-même.” L’enfant de divorcés, séparée à son tour du père de ses enfants, s’est remise à écrire pendant que ses ados étaient au collège. Un moineau lui a inspiré une mélodie à la Suzanne Vega, My Sparrow. Les passions nées des réseaux sociaux lui en a inspiré une autre intitulée Modern Love. Elle chante en anglais mais aussi parfois en français (Vert) et en portugais (Passarinho). L’album Green a été coécrit et produit avec le tandem plusieurs fois récompensé aux Grammy Awards formé par Daniel Tashian et Ian Fitchuk. Guitares boisées, orgues et piano servent d’écrin pour une voix claire comme le soleil de l’aube. “Contrairement aux précédents, ce n’est pas un album torturé. J’ai vraiment apprécié le processus du début à la fin. Au moment de trouver un titre, j’ai pensé à celui-ci, Green, pour l’impression de fraîcheur qui en éma- nait.” Elle a songé aux Parapluies de Cherbourg, elle a pensé à Françoise Hardy, à toutes ces couleurs qui s’accordaient à la sienne.

KAREN ELSON, GREEN

Sortie le 28 avril 2022