Le maquillage est une industrie florissante. Et comme toute industrie à succès, elle suit les tendances, qui sont aujourd’hui au maquillage chargé. Une quête d’un visage redessiné qui rejette radicalement l’idée de réalisme pour tendre vers un fauvisme cosmétique. Décryptage du make-up toujours plus « over the top ».
Sourcils proéminents parfaitement dessinés, joues minutieusement creusées par du bronzer, faux cils… on ne compte plus les jeunes filles qui arborent un maquillage ultra-chargé sur les réseaux sociaux. Longtemps réservé aux grandes stars sur tapis rouge, « the painted face », ou le maquillage à outrance, est aujourd’hui descendu dans la rue.
Sa popularité remonte pourtant à des millénaires. Les Egyptiens sont considérés comme les premiers à avoir démocratisé l’usage du maquillage. Véritable embellissement du visage, il était avant-gardiste de la tendance « camp », développée des milliers d’années après. Les techniques de maquillage égyptiennes, notamment celles des yeux, modifiaient les traits de visage ou en accentuaient certains. Le travail des yeux, et particulièrement des sourcils, était une étape primordiale dans le processus de métamorphose. Le khôl, cette poudre noire faite à partir de matériaux chimiques comme le carbone ou l’oxyde de manganèse, avait aussi des vertus thérapeutiques.
Les Egyptiens à l’avant-garde
L’œil égyptien est l’une des premières manifestations du maquillage « over the top ». Le khôl, ce trait noir visant à souligner le regard était l’arme fatale pour obtenir une forme d’œil en amande très prisée à l’époque. Ce cosmétique directement reconnaissable sur les peintures murales des palais ou des sarcophages, comme celui de Tanethereret, avait pour avantage d’être suffisamment prononcé pour qu’on le repère de loin. Hommes ou femmes, pauvres ou riches, tout le monde avait le droit à son trait noir. Elizabeth Taylor le porte d’ailleurs élégamment dans le film Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, au sein duquel elle tient le rôle-titre.
Le célèbre buste de Néfertiti exposé au Neues Museum de Berlin est la traduction miroir des tendances cosmétiques de l’époque : des sourcils surdimensionnés, un khôl version trait de liner prolongé en bout et fin d’œil, des pommettes accentuées par une poudre foncée type bronzer, ou encore une bouche méticuleusement soulignée en rouge.
Le sens de l’esthétisme des Égyptiens est le reflet de leurs mœurs. La beauté était considérée pour eux comme un signe de sainteté, alors plus on était beau, plus belle serait la renaissance après le passage par le royaume des morts.
Le maquillage n’était pourtant pas si démocratisé que ça dans l’Antiquité. Dans le monde grec, il était même interdit et réservé aux courtisanes. Encore aujourd’hui, le maquillage outrancier est bien souvent considéré comme celui porté par les prostituées. Ces préjugés sont néanmoins bouleversés depuis l’arrivée des influenceuses beauté sur des plateformes comme Youtube ou Instagram. Des personnalités comme Marion Caméléon diffusent des tutos sur leurs réseaux sociaux et rendent accessibles des maquillages destinés à l’origine à des professionnels. Et certains make-ups ne sont pas là pour embellir : maquillage d’horreur, vieillissement, transformation en monstre… Certains looks sont dignes de personnages de films créés avec des effets spéciaux. Ces influenceuses montrent qu’avec le maquillage, les possibilités pour changer l’apparence de son visage sont infinies.
Les drag-queens, les grandes reines du coup de pinceau
Mais même si le travail de ces personnalités publiques est remarquable, elles n’ont rien inventé. Les nombreuses sommités de la scène drag ont révolutionné le maquillage. Pour les drag-queens, se peindre le visage, c’est l’occasion de devenir ce qu’elles ont toujours souhaité être, des créatures sombres de la nuit aux yeux rouges et aux dents acérées aux « pageant queens », ces reines de beauté prêtes à participer à Miss Monde, comme la mythique Crystal Labeija. Et pas de question de genre quand on parle de drag : le maquillage permet d’incarner le fantasme du moment. Un fantasme souvent impossible à atteindre dans la vie de tous les jours et que l’on réalise plutôt la nuit tombée.
Enfin, pas tout à fait. La drag-queen la plus célèbre du monde RuPaul a fait de ces « queens » des personnalités populaires qui s’assument aussi bien de nuit que de jour grâce à son show télévisé RuPaul’s Drag Race. Elles se retrouvent à de prestigieux événements totalement métamorphosées grâce notamment à leur maquillage. C’est le cas de la gagnante de la saison 7 du show Violet Chachki qui a foulé le tapis rose du MET Gala en 2019, prouvant ainsi que les drag-queens sont les mieux placées pour incarner le mot « camp ». La famous Miss Fame, alias Kurtis Dam-Mikkelsen, régulièrement invitée aux défilés de la Fashion Week comme Mugler, est méconnaissable sans son maquillage. Il devient une forme de masque que l’on met pour accéder à un alter ego souvent considéré par les drag-queens comme une meilleure version d’elles-mêmes.
D’autres encore utilisent des techniques qui visent à modifier les traits de visage comme le contouring. Popularisé là encore par les drag-queens, il était utilisé bien avant par les transformistes ou les transgenres pour gommer les traits d’un physique qu’ils rejetaient. Le maquillage devenait ainsi une alternative bien moins onéreuse qu’une opération de chirurgie esthétique. Nez en trompette, bouche pulpeuse, pommettes saillantes ou yeux en amande restent des idéaux physiques que beaucoup cherchent à atteindre. Les nombreuses compétitions qui rassemblent des personnalités transgenres ou transformistes, comme Miss Continental ou Miss Gay USofA, mettent ces critères physiques au cœur des sélections. Ces concours de beauté se sont surtout développés aux Etats-Unis, le pays du toujours plus. Et on ne peut pas dire qu’ils n’ont aucun rôle à jouer dans la popularisation de ces critères de beauté toujours « over the top ». Plus de cils, de cheveux, de lèvres, de blush,… c’est ce qu’Iris Mittenaere, la deuxième Française à remporter la couronne de Miss Univers, remarque : « C’est un show à l’américaine ! Du plus, plus, plus ! ».
De la scène à la rue
La popularisation des drag-queens sur le petit écran a, par extension, permis une démocratisation du maquillage exagéré. Aujourd’hui, il est présent dans la vie de tous les jours, sur n’importe qui, particulièrement les plus jeunes qui s’affichent exagérément maquillés sur les réseaux sociaux, parfois dès 13 ans. Certaines stars de la Génération Z atteignent des niveaux de popularité record, comme la personnalité anglaise Abby Roberts suivie par plus de 16 millions de personnes sur TikTok à seulement 20 ans. Des jeunes intersexes ou non binaires profitent des cosmétiques pour entretenir un côté androgyne, quand d’autres espèrent paraître plus matures.
Du clinquant pour se faire remarquer, c’est ce qui est développé en général aux Etats-Unis. Des stars comme Lady Gaga ou Katy Perry ne font plus de différence entre la vie de tous les jours ou la scène et le red carpet. Elles n’hésitent pas à arborer des maquillages toujours plus chargés avec des faux cils, des strass ou du highlighter. Le maquillage devient comparable à une tenue vestimentaire : inenvisageable de sortir nu, et bien même chose avec le maquillage. Il faut cependant rappeler qu’une nouvelle fois, ces stars n’ont rien inventé. Les grandes actrices des années 50 comme Marilyn Monroe, Mae West ou Elizabeth Taylor ne sortaient pas sans leur célèbre rouge à lèvres rouge glossy ou leurs faux cils. Finalement, « the bigger the better » reste et restera toujours popularisé par le pays de l’American Dream.