La joaillerie à l’épreuve de la masculinité

Par Nalla El Shekshaky

Si les diamants, les perles, les émeraudes et autres pierres précieuses sont les meilleurs amis des femmes, il est temps pour les hommes d’arrêter de les voir comme des ennemis. Représentée par Harry Styles, Billy Porter ou encore ASAP Rocky, cette nouvelle tendance non genrée des bijoux est partie pour durer. 

Les bijoux et les hommes, une histoire d’amour…peu passionnée. S’ils ont longtemps fait office de preuve matérielle de leur flamme à l’élue de leur cœur, les grandes parures et les ornements précieux sont traditionnellement délaissés par la gent masculine au profit de pièces plus minimalistes. 

La série américaine Friends, bible des millennials, l’affirmait haut et fort il y a trois décennies. Saison 2 épisode 14 : Joey tente d’offrir un imposant bracelet en or à son coloc Chandler, qui le haït instantanément. Mis à part l’aspect too much qui ne plaît pas à tout le monde, ce dégoût presque primitif était aussi lié au fait que ledit bijou serait “l’anti-femmes” d’après le personnage de la série. 

Depuis cet épisode de 1996, les mentalités sur le rapport entre virilité et bijoux ont à peine bougé… du moins jusqu’à récemment. Il semblerait qu’enfin la joaillerie se mette elle aussi à l’épreuve de la fluidité des genres. 

Homme et bijoux : un amour oublié 

Joaillerie et masculinité n’ont pas toujours été opposées. Symbolisant la richesse, les bijoux flamboyants étaient même auparavant des signes de puissance, distinguant le chef de son peuple et le riche des pauvres. En témoignent les opulents colliers en perles des maharajahs ou encore de la dynastie chinoise Yuan, mais aussi les joyaux des rois français comme Louis XIV, grand passionné de haute joaillerie. C’est avec les révolutions que le monde masculin perd son attrait pour les éclats des pierres et de l’or. La mentalité bourgeoise devient dominante et privilégie une vision moins ostentatoire de l’habillement, à l’encontre des codes de la noblesse jugée oisive. Le bijou masculin est alors réduit à son aspect utile, comme avec les boutons de manchette ou les épingles de cravate.

Si la joaillerie masculine s’est depuis développée, force est de constater que les modèles restent encore très majoritairement minimalistes. Acier brossé, coupes brutes…, tout pour ne pas froisser cette conception très fixe de l’allure de l’homme. Même les collections unisexes semblent ne pas trop s’aventurer dans l’exubérance de peur de choquer. 

Portée par la communauté queer, l’avancée vers une joaillerie moins genrée gagne néanmoins progressivement en popularité grâce à l’influence des réseaux sociaux et des célébrités engagées à changer les conceptions arrêtées. 

Les diamants sont aussi les amis des hommes

Longtemps délaissés de leur vestiaire, les diamants font aujourd’hui amis-amis avec les hommes. Et ce sous de nombreuses formes. Si les boucles d’oreilles sont depuis longtemps intégrées à la mode masculine, les modèles sertis de diamants étaient plutôt réservés à nos idoles des boys bands. Les diamond studs, ou puces d’oreilles en diamant, ont déjà fait leur grand come-back dans le monde des mortels avec des ambassadeurs comme Will Smith ou encore Marc Jacobs. Sur les podiums, la boucle d’oreille en diamant redouble d’exubérance. Louis Vuitton a dernièrement présenté lors du défilé homme automne-hiver 2022 un earcuff XXL en cage entièrement serti de diamants et du logo. Bien plus discrète, sa collection unisexe Volt propose également des diamants en boucles d’oreilles. 

Côté colliers, c’est l’empire du bling qui domine. Et s’il y a bien un pan de la musique friand de carats, c’est le hip hop. Ses légendaires rappeurs manient l’art du collier en diamants depuis un bon moment. Le pendentif à tête de Jésus éclatant est une véritable icône rap à part entière, et s’est vu aux cous de Notorious Big, de Jay-Z ou de Kanye West. Les colliers en diamants sont aussi au goût du jour sur les tapis rouges. Nous les avons repérés sur l’humoriste Pete Davidson au Met Gala 2021 ou encore sur le chanteur Nick Jonas en 2019 au même événement, portant une pièce de haute joaillerie Chopard. 

Quand vient le moment de se faire passer la bague au doigt, les marques ont désormais aussi une pensée pour les mariés. Aux alliances métalliques minimalistes, Tiffany’s propose aujourd’hui une alternative plus scintillante avec une ligne de bagues de fiançailles pour hommes challengeant les normes. Un coup à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la maison qui est à l’origine du modèle féminin le plus populaire. Le joaillier de l’amour sait décidément humer l’air du temps. En France, la jeune marque DFLY bouscule également les traditions matrimoniales avec des anneaux masculins sertis de leur diamant de synthèse signature.

Collier de perles et post-virilité

Dès la fin 2019, les perles ont commencé à déferler dans le monde de la mode masculine. Lyst, site de recherches en shopping, a recensé une montée significative des requêtes pour “perles pour hommes” en 2020, notamment à la suite des nombreux looks perlés d’Harry Styles, ambassadeur absolu de la tendance. Qui aurait cru que l’accessoire de mamie deviendrait l’étendard de la rébellion contre le vestiaire genré ?

C’est Pharrell Williams qui donna en 2016 l’impulsion de cette nouvelle lubie en défilant pour la collection Métiers d’art de Chanel vêtu d’une veste en tweed et d’un sautoir en perles, deux pièces iconiques de la maison, qui est, rappelons-le, exclusivement féminine en mode. Aujourd’hui, ASAP Rocky, Justin Bieber et bien d’autres célébrités perpétuent le mouvement. Même le pilote de Formule 1 Lewis Hamilton a adopté le collier de perles à la dernière Fashion Week de Paris, prouvant que les grands sportifs, et pas seulement les footballeurs, ne sont pas en reste en matière d’audace vestimentaire. 

Très populaire chez la Gen Z, c’est notamment la figure du e-boy qui brandit fièrement le bijou perlé. Tendance ayant émergé sur TikTok, le e-boy, littéralement “garçon d’internet”, tire son style d’un mélange entre emo, K-pop et mangas. Très similaire à sa compère e-girl, le e-boy est l’incarnation d’une version plus douce de la masculinité, en opposition à une virilité agressive. 

La mode s’est évidemment saisie de ce phénomène. Fendi a dernièrement présenté sa version du collier de perles, avec un fermoir logo, au dernier défilé masculin automne-hiver 2022. La jeune marque Botter en a également exhibé sur ses mannequins hommes dans son défilé de la même saison, faisant écho à son identité caribéenne.

Haute joaillerie, et pourquoi pas les hommes ? 

S’il y a bien une sphère où le genre masculin n’est pas assez représenté, c’est celui de la haute joaillerie. Œuvres d’art à part entière, les pièces de haute joaillerie ont depuis peu des cous neufs à parer.

Fidèle à sa philosophie progressiste, Alessandro Michele revendique notamment la fluidité des genres dans la collection de bijoux de Gucci. Pour le directeur artistique, ce choix relève de l’évidence: “Il serait fou de dire que les bijoux des femmes et des hommes devraient être différents” avait-il confié au British Vogue en 2019. Pour sa deuxième collection haute joaillerie en 2021, la maison a d’ailleurs choisi comme égérie Paul Marque, danseur étoile de l’Opéra national de Paris.

En France, c’est notamment Boucheron qui fait sauter les stéréotypes. En 2021, Claire Choisne, directrice artistique du joaillier, brise les conventions en mettant également en avant des mannequins hommes pour sa collection haute joaillerie Art déco. Un hommage aux “années folles” et à la rébellion contre les carcans imposés aux femmes de l’époque, portée par la figure de la garçonne. La collection fait aussi écho aux colliers extravagants que Boucheron confectionnait pour les grands maharajahs dans les années 20, appuyant cette vision orientale qui est encore aujourd’hui plus décomplexée sur le rapport homme-bijou. Plus tard dans l’année, la maison réitère cette initiative avec sa collection Carte Blanche Holographique, qui sera d’ailleurs fièrement arborée par Nicolas Maury sur le tapis rouge de la 74e cérémonie du Festival de Cannes.

Dior apporte également sa pierre à l’édifice sous l’impulsion de son directeur artistique homme Kim Jones et de Victoire de Castellane, tête pensante de la joaillerie de la maison. Pour la collection pré-automne 2022, c’est l’esprit libre du roman Sur la route de Jack Kerouac et de la Beat generation qui est mis à l’honneur. Une première collaboration entre les deux créatifs qui a donné notamment naissance à un pendentif en opale multicolore rappelant la forme d’un livre. En plus de rendre tendance, le bijou donne maintenant à ces messieurs un air érudit. C’est vendu.