Footballeur anonyme, Jean-Marc Bosman a bouleversé les règles de son sport avec l’arrêt européen de 1995 qui porte son nom, lequel a permis la libre circulation des joueurs. Mais, pour le Belge, plus lourde a été la chute…
Entre réprouvés, on se comprend… Début 2019, Adrien Rabiot, milieu de terrain de l’équipe de France et de la Juventus Turin, qui avait osé décliner le statut de suppléant au Mondial l’année précédente, a garni le compte bancaire du Belge Jean-Marc Bosman de 12 000 euros. Véronique, la mère d’Adrien, a agi discrètement et lui a ensuite rendu visite, avec son autre fils. Les Rabiot avaient été sensibilisés par un documentaire montrant le quotidien de l’ancien milieu de terrain. Un quotidien gris et modeste pour cet anti-héros ordinaire arborant aujourd’hui un crâne dégarni, un visage boursouflé et une allure empâtée. Et dire que Bosman a révolutionné le marché des transferts… Oublié de tous, il a sombré dans la dépression et l’alcool mais, comme il le martèle en se remémorant la manière dont son nom est devenu celui d’un arrêt de la Cour : « David a écrasé Goliath. Je souriais… Dans ma tête, j’avais forcé l’UEFA et la FIFA (les institutions qui régulent le football continental et mondial, ndlr) à mettre genou à terre, elles étaient à mes pieds. »
Sauf que Jean-Marc Bosman a vite déchanté. « Je n’acceptais pas ma non-reconnaissance alors que je n’avais fait que du bien », rappelle celui qui ne vit que d’aides. Mais reprenons… En 1990, Bosman, 26 ans, ancien capitaine de la sélection espoirs de son pays, est un joueur honorable du RFC Liège, avec qui il a remporté la Coupe de Belgique. Son contrat arrive à terme et le club entend réduire son salaire de 75%. Il refuse, cherche à rebondir et écrit aux formations françaises. Dunkerque, en seconde division, lui fait passer un essai et veut le recruter. Mais Liège demande une forte indemnité. Le transfert capote.
FLAMBÉES DE SALAIRES
Pis : sans club, il est radié par la Fédération belge. Fou de rage, Bosman conteste en justice les règlements qui organisent les transferts. Soucieux du respect de m’application du contrat de travail à durée déterminée ainsi que du droit européen, cet anonyme du football ne digère ni la demande d’indemnité, ni l’existence d’un quota qui empêche les équipes européennes de posséder plus de trois joueurs étrangers ressortissants de l’UE. Il attaque Liège puis l’UEFA. Perdu d’avance, pense-t-on. En attendant, devenu indésirable car grain de sable, il rebondit à La Réunion. L’aventure à Saint-Denis est courte. S’ensuivent des expériences dans des clubs de bas niveau avant de raccrocher en 1996.
Quelques mois plus tôt, le 15 décembre 1995, il a obtenu son plus beau trophée : la Cour de justice des communautés européennes (devenue la Cour de justice de l’Union européenne) lui a donné raison en jugeant sa mésaventure contraire à l’article 48 de traité de Rome. La circulation des footballeurs au sein de l’UE est autorisée et un joueur en fin de contrat peut s’engager où bon lui semble. La révolution Bosman aboutit à la flambée des salaires et à l’ultra-libéralisation du marché. L’équipe de France d’Aimé Jacquet en profite : en 1998, année de la Coupe du monde, Deschamps, Zidane, Thuram ou Djorkaeff sévissaient dans le championnat italien, où ils ont appris la culture de la gagne. Un an plus tard, le club londonien de Chelsea aligne un onze de départ composé uniquement de joueurs étrangers, face à Southampton. En 2005, contre Crystal Palace, Arsenal n’inscrit aucun joueur anglais sur la feuille de match : six Français, trois Espagnols, deux Néerlandais, un Camerounais, un Ivoirien, un Allemand, un Brésilien et un Suisse.
Sorti exsangue des cinq années de procédure judiciaire, Bosman n’a pas récolté les fruits de sn combat. S’il s’est acheté une Porsche, il a dilapidé les indemnisations perçues, estimées à un million d’euros en comptant la rétribution pour un documentaire. Il s’attendait à être félicité par les joueurs, voire soutenu financièrement : il n’en sera rien. Rejeté par cet univers qu’il a transformé, il n’est soutenu que par le syndicat des footballeurs professionnels français (UNFP), la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (FIFPRO), Rabiot et des internationaux néerlandais, à titre privé. Il déplore ce qu’est devenu le football : plus un jeu mais un business. « Pour moi, cela a été 25 ans de revers alors que, pour les footballeurs, c’est 25 ans de bonheur. »
UN SUJET EN OR POUR NETFLIX
En gagnant ce bras de fer, Bosman considère s’être sacrifié pour les autres. « Je n’ai pas tué le football, je l’ai enrichi. Grâce à moi, les clubs gagnent des millions. Je leur ai transmis la formule magique. Ils ont contourné mon arrêt. C’est désormais du capitalisme pur et dur. Ils devraient me dérouler le tapis rouge. Mais je ne suis le bienvenu nulle part. Les joueurs maintenant ne pensent qu’au profit. Ils ne savent même pas qui je suis, d’ailleurs », fustige-t-il.
Les emmerdes, c’est bien connu, volent en escadrille : crise d’épilepsie, poursuites pour violences conjugales, un boulot d’ouvrier communal qu’il ne garde pas, radiation du Centre public d’action sociale qui accompagne les personnes précaires. Mal dans sa peau, sans ressources, il essaie de négocier une petite somme pour les interviews, souvent sans succès. Âgé de 57 ans, chômeur et père de deux enfants, il habite près de Liège. En 2015, il expliquait au Monde : « À un moment, j’avais un certain confort de vie, c’est clair. Mais pas par rapport à ce que j’aurais dû avoir. J’aurais dû être protégé à vie financièrement. À un moment, j’étais avec ma man, je comptais les centimes. » Il affichait néanmoins dans l’entretien, à défaut de rédemption, une forme d’optimisme : « Même si je suis fauché, je me dis que tout ça c’est derrière moi. Je me sens beaucoup mieux dans ma peau. » Bosman, un sujet en or pour Netflix ou une autre plateforme qui pourrait le remettre en lumière tout en le renflouant.