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© Shot by Emmanuelle Descraques

Une note universelle

Par Khemena Ahmad

Farrah El Dibany : la voix captivante de l’Arabie, avec de profondes racines dans son Alexandrie natale, s’épanouit en une star internationale et envoie des ondes de choc de Paris au reste du monde.

Fraîchement revenue de la scène où elle a interprété la Marseillaise sur le Champ-de-Mars pour célébrer la réélection du président Emmanuel Macron, Farrah El Dibany arrive deux jours plus tard à notre studio parisien, dans une tenue années 80 flamboyante, pour faire la couverture de notre numéro d’été. Ses poses et son apparence incarnent véritablement l’esprit ambitieux et audacieux de cette mezzo-soprano égyptienne, mêlé d’une nostalgie sans fin, où le passé se fait sentir dans chaque recoin de l’espace présent. Tandis qu’elle s’assied calmement pour notre interview, son extraordinaire assurance, peu commune chez une femme de son âge, me fait me sentir à la fois impatiente et enthousiaste. Sa nature chaleureuse et séduisante rayonne à travers ses traits égyptiens et me met tout de suite à l’aise.

Originaire d’Alexandrie en Égypte, Farrah est devenue une star internationale. « Tout a commencé à Alexandrie, en Égypte, où je suis née et j’ai grandi. C’est là-bas que j’ai commencé à chanter et que mon talent a été découvert », révèle Farrah. « Ma première prestation comme soliste était avec le Bibliotheca Alexandrina Orchestra » se rappelle-t-elle tendrement. C’est dans cette magnifique ville méditerranéenne sur la côte nord de l’Égypte que Farrah est tombée amoureuse de la musique et qu’elle s’est aventurée dans le monde du chant. Farrah a pris des cours de chant à l’école allemande à Alexandrie, puis elle a rejoint le Centre des arts de la Bibliothèque en 2005, avant de déménager à Berlin pour suivre des cours à l’Académie de musique Hanns Eisler. Elle a ensuite obtenu une licence en architecture à la Technische Universität de Berlin et un master de l’université des arts de Berlin.

Malgré la renommée internationale grandissante dont bénéficie Farrah, la chanteuse continue d’affirmer sa fierté de son pays. « En 2019 le président égyptien m’a mise à l’honneur pendant le Forum international de la jeunesse qu’il organise chaque année », un souvenir qu’elle porte dans son cœur. « Depuis, je suis vraiment reconnue dans mon pays, auquel je dois tout ce que j’ai accompli, que ce soient les opportunités qui se sont présentées à moi en Égypte même, ou les nombreuses fois où l’on m’a rendu hommage comme chanteuse et comme talent national », me dit-elle. Chacun de ses mots est imprégné d’une réelle gratitude. Farrah continue : « L’Égypte a énormément contribué à faire de moi celle que je suis aujourd’hui. Vivre mes jeunes années à Alexandrie a fait de moi quelqu’un de cosmopolite, exposée à de nombreuses cultures. Grandir dans un environnement aussi divers et multiculturel m’a appris la tolérance, j’ai appris à ne pas me focaliser sur les différences entre moi et les autres, mais plutôt à regarder ce que nous avons en commun. »

Dans le monde arabe, on appelle souvent l’Égypte « Masr Umm Eldounya », qui signifie : « L’Égypte est la mère du monde. » On utilise généralement cette phrase pour faire l’éloge du pays, et Farrah attribue cela au fait que « de nombreux jeunes talents viennent en Égypte pour poursuivre leur rêve de devenir célèbre. C’est un hub multiculturel où tout le monde est le bienvenu, un endroit où les talents sont accueillis et tous les types d’art et de musique sont appréciés. » La gratitude et la reconnaissance qu’éprouve Farrah pour son propre pays d’où partent ses racines sont ce qui l’a guidée vers l’universalité. « Sans sentiment d’appartenance à un endroit ou un pays, on ne peut pas devenir une star internationale ou universelle, car c’est précisément ce qui fait qu’on peut être reconnu mondialement. Ça nous ouvre au monde », explique Farrah. Elle emporte l’Égypte dans son cœur partout où elle va et sur chaque scène où elle se produit. Elle continue avec fierté : « Je me sens extrêmement connectée à mes racines et très égyptienne. J’ai réussi à toucher un public mondial et j’ai été bien reçue parce que les gens peuvent voir que j’ai une identité et ils apprécient cela. »

On constate ce succès mondial à l’aune d’une carrière ponctuée par de nombreux éléments marquants, comme le fait que Farrah ait été la première artiste arabe en résidence au prestigieux Opéra National de Paris, fondé par Louis XIV en 1669. Avec sa récente prestation, Farrah est aussi devenue le premier artiste étranger à chanter l’hymne national après une victoire présidentielle en France.

Il est impossible de ne pas repenser à cette soirée grandiose au pied de la majestueuse Tour Eiffel, sur le Champ-de-Mars le 24 avril 2022 et de se demander comment tout a commencé. Farrah me regarde avec un large sourire et dit : « J’ai été invitée la veille de l’élection, et je n’étais même pas assurée de chanter ; si Macron n’avait pas gagné par exemple. Cette fois le vote était très serré et le résultat aurait pu être différent ! » Tandis que Farrah se remémore ce moment, on commence à lire sur son visage la même excitation teintée d’anxiété qu’elle a dû ressentir. « Attendre les résultats était difficile mentalement, pour savoir si j’allais chanter ou non », ajoute-t-elle.

Le fait de chanter la Marseillaise devant un public aussi nombreux, dont le président de la France lui-même, a fortement affecté Sarah, me dit-elle. « J’étais très nerveuse et c’est devenu encore pire quand je suis montée sur scène et que le public avait déjà commencé à chanter alors que je n’étais même pas arrivée au micro. » Elle continue, souriante : « Mais je me suis retrouvée à chanter avec eux, renonçant à la tonalité à laquelle j’avais répété, c’était très naturel et spontané. Je me contentais d’apprécier cet incroyable moment. »

« J’ai eu des frissons pendant que je chantais la Marseillaise au peuple de France, un pays qui m’a tant donné, où j’ai été grandement appréciée et récompensée. J’étais sincèrement reconnaissante de jouir d’un tel privilège. Je me suis sentie fière en tant que Farrah la chanteuse, l’Égyptienne et l’Arabe. »

Éblouissante dans sa robe rouge glamour créée par Gemy Maalouf, elle aussi une femme Arabe, Farrah incarnait l’allure envoûtante que les femmes arabes possèdent souvent. Farrah croit fermement au potentiel et au talent des femmes du monde arabe, et elle croit également que leurs accomplissements méritent d’être reconnus à l’international. Elle m’explique : « Je vois chaque jour de nouveaux accomplissements des femmes arabes dans le monde entier. Elles nous rendent toutes fières. Nous sommes différentes, uniques et nous avons beaucoup à offrir, grâce à notre grand potentiel et notre ambition marquée. »

Elle est l’une de ces femmes ayant atteint une place internationale de premier ordre, mais le chemin parcouru par Farrah a demandé beaucoup de persévérance. Farrah admet « qu’être patiente, tenace, et faire les choses avec amour et attention sans aucune énergie négative en soi est réellement ce qui ouvre la voie à la célébrité et au succès. » Elle explique que « si on se compare constamment aux autres, on n’atteint jamais son plein potentiel. Il faut faire preuve d’une certaine force mentale pour être en compétition avec soi-même plutôt que les autres. » Cette conscience de ce qu’elle veut et ce qu’elle doit faire pour y arriver, doublée de son talent musical sans pareil, est certainement ce qui a propulsé Farrah vers le succès et la gloire dans sa carrière.

« La musique est un langage universel », un adage qui résonne profondément avec Farrah. « On peut ressentir et établir un lien avec une chanson sans même en comprendre les paroles, c’est pourquoi beaucoup de gens apprécient la musique de différentes parties du monde indépendamment de leur milieu ou leur culture », explique-t-elle. « Quand je chante dans des concerts avec un public multiculturel, je n’ai pas à m’inquiéter, car je sais que la musique est un langage universel qu’ils comprennent tous, et ma voix est ce qui établit ce lien avec eux. »

Farrah, comme tout artiste passionné, aspire à laisser une marque sur le monde à travers sa musique. Elle tente de rendre populaire l’opéra auprès des jeunes générations en offrant une perspective différente de cette forme d’art, loin des clichés. « Ce genre de musique est connu pour être apprécié des générations plus âgées, mais dans mon expérience personnelle, je vois que les jeunes éprouvent un intérêt grandissant pour l’opéra. Je sens que la demande de concerts dans le Moyen-Orient est plus forte que jamais. On cherche de plus en plus à inclure de l’opéra dans différents événements, surtout en Égypte, en Arabie Saoudite ou aux Émirats arabes unis où il devient de plus en plus populaire et attire un public plus jeune », révèle Farrah. Mais la marque qu’elle laisse sur le monde va plus loin que la scène. Farrah mène un travail philanthropique à travers plusieurs initiatives, en inspirant des réfugiés à chanter à l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ou encore en encourageant les enfants à lire en Arabe avec l’organisation Save the Children. En plus de continuer à susciter l’intérêt de ses admirateurs toujours plus nombreux et à satisfaire les amateurs d’opéra à travers le monde, Farrah ajoute : « Devenir la meilleure version de moi-même » quand je lui demande ce qu’elle veut accomplir avec cette assurance dont elle a fait preuve dès le début de notre entretien. La jeune star toujours solidement enracinée dans sa terre natale est déterminée à continuer son parcours prometteur et à s’épanouir encore plus loin dans l’univers