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FAISEUSE D’IMAGE(S): LES SECRETS DE RÉUSSITE DES STYLISTES DE STARS

Par Pauline Marie Malier

Derrière chaque grand artiste, se cache bien souvent un/e styliste. Ce métier de l’ombre, où l’on met l’autre en lumière, requiert une parfaite maîtrise du style et des tendances. Mais pas seulement. Zoom sur un métier bien plus complexe qu’on ne le croit.

Là où l’image règne, la mode triomphe. Le pouvoir du vêtement, c’est l’image indélébile du cuir d’un Iggy Pop, ou du célébrissime costume pensé par Kansai Yamamoto pour David Bowie dans les années 1970. Si ces looks semblaient presque instinctifs ­­­à l’époque, réseaux sociaux et magazines accentuent depuis l’impact du choix vestimentaire de nos idoles, dont chaque sortie, chaque post, est aujourd’hui passé au scanner du cool. Mais construire l’univers global d’un artiste n’est pas tâche aisée, et se résume en réalité difficilement au simple choix vestimentaire. Au styliste revient le rôle de définir une image unique, réfléchie et codifiée. Et en la matière, la Napolitaine Mariaelena Morelli,  à qui nous devons, entre autres, le stylisme des dernières campagnes CamperLab ou du rappeur Ichon, est une référence. Comment pense-t-on l’image publique des talents ? CitizenK part à la découverte d’un métier bien plus humain et stratégique qu’il n’y paraît.  

Stylistes : curateurs de talents ?

Qu’ont-ils en commun ? Ichon, Bonnie Banane ou Eddy de Pretto, tous sont passés entre les mains expertes de Mariaelena Morelli. « Jai commencé à travailler avec des musiciens en 2017 après que le studio Frenzy a fait appel à moi pour styler Myth Syzer, Ichon, Bonnie Banane et Muddy Monk. Les quatre avaient des personnalités très différentes et il y avait un vrai challenge en termes de stylisme. » L’œil non averti sous-estime trop souvent le rôle complexe du styliste dans la création de l’image publique d’un artiste. Car tant dans l’esthétique d’une campagne que dans la coconstruction stylistique, il joue un rôle que l’on pourrait définir comme suit :  curateur de talents. Si sa mission première est certes de dénicher les marques les plus en vogue du moment, il doit aussi être capable de repérer les artistes à fort potentiel. En cela, c’est la relation artistique et humaine qui prime. « Ma collaboration avec Ichon sest prolongée car nos influences esthétiques et artistiques sont similaires, mais aussi et surtout car nous avons de vrais atomes crochus, humainement parlant. » Réussir en tant que styliste dépasse donc largement la fine connaissance des modes et tendances, et nécessite d’abord de faire preuve d’intelligence et de vision quant au choix de ses collaborations : « Je choisis toujours de travailler avec des artistes dont la musique et la personnalité me plaisent. » Construire une image forte requiert de cerner la personne que l’on a en face de soi pour s’adapter avec justesse à ses envies et attentes en termes de carrière. Un bon styliste tâchera donc de jauger jusqu’où il peut aller dans la proposition stylistique, ce qui implique de nouer une relation solide avec l’artiste. « Avec Ichon, la collaboration est pérenne, ce qui nous permet de développer ensemble de vrais codes vestimentaires, qui deviennent petit à petit sa signature en tant quartiste. Un jour, il ma dit: “Faut que ça shine !” Je lui ai donc confectionné moi-même un tee-shirt fait à partir de colliers et de chaînes ! » Faire preuve de flair, tant dans le choix de ses collaborations que dans celui des marques, est donc crucial. Stratégique même. 

Stylistes: de grands stratèges ?

« Loewe, Botter, Acne Studios et Y/Project sont les quatre marques aux shows desquels je conseille à Ichon de se rendre», explique Mariaelena. Sa capacité à lier des liens durables avec les artistes est une force certaine mais ce sont ses propositions stylistiques audacieuses qui lui font passer le cap de l’excellence. La pression d’être toujours à la pointe est très présente dans ce milieu, notamment pour des artistes circulant dans des registres de niche. En recherche continuelle de jeunes créateurs et d’idées nouvelles, Morelli s’attache à montrer la mode d’aujourd’hui : « Jaime que limage que je construis soit unique en son genre, cest une des raisons pour lesquelles je naime pas travailler quavec des grandes maisons ». Cibler les marques. Rendre l’artiste désirable. Voilà ce qui fait la complexité du métier. Car, c’est un fait, tout le monde n’est pas invité au show Loewe. C’est de ruse et d’habileté dont il faut faire preuve pour jouer au jeu de la désirabilité et réussir l’impossible : faire entrer l’artiste dans le spectre de la marque. Le timing est ici de mise : « Je faisais porter à Ichon des pièces Loewe depuis un moment en évitant les best-sellers. Je leur préfère toujours les pièces les moins connues des collections, que je couple avec dautres marques plus niches comme Martine Rose, Bianca Saunders, ou Isa Boulder, du vintage et même parfois des pièces que je crée moi-même. Un jour, il a assisté à un show, jai pris une photo, et là, incroyable, la marque et Jonathan Anderson lui-même l’ont tous deux repostée sur leur Instagram ! Cest ce quon appelle un succès. » On le comprend, Morelli fait du conseil en image, et les réseaux sociaux sont un outil précieux pour « voir ce qui fonctionne ou non ». Oui, l’impact médiatique d’une tenue spectaculaire peut être conséquent : une bonne apparition, au bon moment, suffit parfois à rendre un artiste viral. Le dernier exemple en date est l’impeccable performance de Lucky Love sur le défilé « Artisanal Show » de Maison Margiela. Tout tombait parfaitement : le style, le moment, le spectacle. Depuis, impossible d’ouvrir Instagram sans tomber sur ce crooner des temps modernes. Attention cependant, un raté peut à l’inverse être fatal… Mal conseillé, un artiste prend le risque de voir pâlir son image de marque. « Parfois je regarde les apparitions de certains artistes et je regrette un stylisme pas au niveau, ou une présence trop forte sous les projecteurs. Je pense réellement que cela peut les desservir en termes dimage ». On l’aura compris, réussir en 2024, c’est avoir du talent, certes, mais c’est surtout savoir s’entourer… d’autres talents !