De Schiaparelli à Jean Paul Gaultier, la semaine de la couture a surtout posé la lumière sur les visages en porcelaine du défilé Maison Margiela. Celle à l’origine ? La célèbre Makeup Artist Pat McGrath, que nous avons rencontré.
Pour clore en beauté la haute couture fin janvier, John Galliano a offert un moment de grâce dans l’histoire de la mode (et de la beauté), lors de son défilé pour Maison Margiela, dont il est à la tête depuis 2014. Ses silhouettes, inspirées des personnages à l’esprit “fin de siècle” – associés aux mouvements artistiques et culturels des années 1880 et 1890 en France – ont fait irruption devant 250 convives nichés sous le pont Alexandre III. Vêtus de corsets et d’étoffes translucides, les mannequins ont surgi avec un visage au teint de porcelaine, imaginé par la collaboratrice britannique de longue date du couturier : Pat McGrath, make-up artist et fondatrice d’une ligne de cosmétiques à son nom. Depuis, les vidéos se comptent par milliers sur les réseaux sociaux, où les internautes tentent de reproduire cette seconde peau. Il faut dire que cette technique a demandé de longues heures de travail. Rencontre avec l’une des maquilleuses les plus influentes au monde.
Citizen K : La mise en beauté semble profondément compter pour John Galliano. Qu’avait-il en tête pour ce défilé ?
Pat McGrath : La beauté fait effectivement partie intégrante des collections de John Galliano. Elle contribue à compléter sa vision globale du défilé et à développer le caractère de chaque modèle et de chaque vêtement. Pour ce show, il a souhaité présenter des muses hypnotiques du XIXe siècle tout droit sorties d’une promenade au clair de lune le long de la Seine, mais d’une manière très picturale. La peau hyper-réfléchissante et surréaliste que nous avons réalisée a transformé les modèles en poupées vivantes.
À l’origine créée pour amuser les enfants, que représente pour vous une poupée de porcelaine ?
Pour moi, les poupées de porcelaine sont à la fois un jouet d’enfant et une relique du passé. Elles sont innocentes et singulières, légères et sombres, et sous leur apparence délicate se cache une allure obsédante et gothique. J’ai voulu explorer cette dualité en associant des traits particulièrement féminins, comme les joues roses de poupée, à des touches subversives pour réinventer les canons de beauté. La peau prend une luminosité d’un autre monde, tandis que les sourcils minimalistes, les ombres fumées et les couleurs profondes des lèvres donnent une impression d’avant-garde et de modernité. Il s’agit de mélanger l’imaginaire et la réalité, le passé et l’avenir.
À quelles époques vous êtes-vous référée ?
Les poupées des années 1930, avec leur peau pâle, leur regard obsédant et leurs sourcils fins, ont été une vraie source d’inspiration. Notre époque m’a également invitée à utiliser des couleurs vives pour les yeux et les lèvres, et des teintes rosées très populaires en ce moment. Cette peau de verre brillante, lisse et sans pores, elle, rappelle les films muets et les sujets des photographies en noir et blanc de Brassaï, célèbre pour son travail sur la vie nocturne. Les personnages mis en scène sont ceux que nous pouvions rencontrer à Paris à la période « fin de siècle », comme les voleurs des catacombes ou les cocottes de Pigalles.
Cette peau de verre est devenue un véritable phénomène sur les réseaux sociaux, et son succès a fait l’unanimité. Que ressentez-vous ?
Les retours ont été extraordinaires ! C’est l’un des grands plaisirs de ma vie que de pouvoir inspirer les gens grâce à mon art. Je suis honorée de l’ampleur des réactions et de l’émotion profonde que les gens ont ressentie face à ce look. Nous nous sommes surpassés sur le plan artistique et technique en créant cette mise en beauté. Que le métier de maquilleuse soit reconnu signifie beaucoup pour moi.
Quel secret se cache-t-il derrière cette seconde peau ?
À vrai dire, je combine plusieurs produits dont un mélange d’eau et de masque à la texture de gel. Le plus important est d’hydrater au mieux la peau avant l’application du fond de teint, du blush et des fards. Une fois le maquillage entièrement dessiné, j’applique la couche luisante que je sèche à l’aide d’un aérographe ou d’un sèche-cheveux. Mon équipe et moi allons d’ailleurs bientôt mettre sur le marché un produit pour reproduire la finition parfaite de cette peau !
Au défilé Schiaparelli, une beauté à l’état pur
Ce savoir-faire n’a pas échappé au défilé “schiaparalien” par Daniel Roseberry, où la mise en beauté a elle aussi été réalisée par Pat McGrath. La make-up artist a peint les visages en respectant la carnation naturelle de chaque peau, pour un look “ton sur ton”, rehaussé de légères touches de couleurs et de textures luisantes, comme pour les lèvres. “Daniel Roseberry a souhaité rendre hommage à l’obsession d’Elsa Schiaparelli pour le cosmos, en mêlant l’ancien et le nouveau monde. Le plus important était de structurer les visages en jouant sur la lumière pour créer de mystérieuses ombres“, explique-t-elle. Cette mise en beauté témoigne d’un retour à cette “beauté naturelle”, aux pigments légers, ici, modernisée par des sourcils délavés et des paupières argentées. Une oreille a même été couverte de centaines de cristaux interrogeant le réel et l’irréel.
Les visages de cristaux chez Jean Paul Gaultier et Robert Wun
Des cristaux d’ailleurs présents par milliers lors de cette semaine de la couture. Au défilé Jean Paul Gaultier, dont la collection a été réalisée par la créatrice irlandaise Simone Rocha, ces petites pièces étaient autant brodées sur les créations qu’apposées sur les sourcils et les lèvres. Telles des pétales de rose ou des éclats de verre, contrastant avec les robes de bal aux allures de ballerines. Chez Robert Wun, les strass coulaient comme du sang le long des tempes. Le designer originaire de Hong Kong, présent pour la seconde fois dans le calendrier officiel de la haute couture, poursuit les scènes d’horreur chères à sa mode, où les personnages apparaissent la bouche ensanglantée ou en larmes de sang. Peut-être est-ce un clin d’œil aux 30 000 cristaux rouges Swarovski posés, il y a tout juste un an, sur la peau de Doja Cat au défilé Schiaparelli (déjà) par Pat McGrath ?