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Illustration: Julia Dufossé

Dîner d’États : tour d’Europe gastronomique

Par VICTOR COUTARD, Illustration JULIA DUFOSSÉ

On connaissait la méthode des « petits pas » de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l’Union européenne, voici son pendant gastronomique : les petits plats. Un menu 27 étoiles.

L’Union européenne mérite bien un bon gueuleton. Depuis sa création, l’ambitieux projet politico-économique a permis à toute une génération de jeunes chefs de se forger une culture gastronomique ouverte et créative. En cuisine, à table ou à coups de fourchette, les échanges ont fait naître du bon et du meilleur sur toutes les tables d’Europe. Nous devons à l’Union nos plus belles émotions culinaires de ces dernières années.

Considérant le nombre de signatures de traité, de conseils exceptionnels, de réunions de crise, c’est peu dire qu’il a fallu ravitailler les troupes européennes. On aime à penser que les technocrates de Bruxelles ont fini d’élaborer le traité de Maastricht sur un bout de nappe d’une brasserie hollandaise pendant que François Mitterrand, une serviette sur la tête, faisait connaître à Helmut Kohl le goût interdit des ortolans. Le chancelier allemand, quant à lui, aurait-il décoincé Margaret Thatcher en partageant un Saumagen, son plat préféré, une panse de porc farcie originaire de la Rhénanie-Palatinat ? D’ailleurs, si les europhiles ont choisi Bruxelles et Strasbourg comme sièges de la Commission européenne et du Parlement, ne serait-ce pas pour la qualité de leurs restaurants ? Pour célébrer l’Europe et tous les Européens, autant que pour renforcer la coopération entre les 27 États membres, voici un menu pour un banquet europhile. Un hymne à l’estomac et aux étoiles.

ENTRÉE

Terrine de chevreuil et de sanglier, salade romaine, olives de Kalamata, huile de pépins de citrouille

Si l’Europe a affronté ces dernières années quelques violentes tempêtes, il est un domaine où l’Union connaît un franc succès : le réensauvagement. Ces dernières années, une politique de réintroduction d’espèces endémiques couplée d’une préservation acharnée des réserves naturelles a permis le retour d’une faune sauvage que l’on croyait perdue, se pavanant des Alpes françaises jusqu’à la Grèce. “L’Europe de la nature, ça marche très bien. L’Europe de l’élan, l’Europe des vautours ou des chamois, c’est un grand succès”, explique le grand naturaliste français Gilbert Cochet. Les Allemands considèrent que la viande de gibier est la plus bio qui soit, au point que certains de nos voisins ne mangent de la viande qu’à la condition qu’elle soit issue de la chasse. Proposons donc pour commencer une terrine de chevreuil et de sanglier accompagnée d’une salade verte, une romaine pour le clin d’œil à nos amis italiens, assaisonnée d’olives de Kalamata et d’huile de pépins de citrouille, comme on en trouve seulement en Autriche.

PLAT

Mille saucisses, simple purée de pommes de terre

Et si la saucisse, trait d’union entre États membres, était la plus européenne des préparations culinaires européennes ? Si leur longueur et leur grosseur varie selon les méthodes de préparation et les goûts des consommateurs, on retrouve des recettes de saucisses dans presque tous les États de l’Union. La Brühwurst allemande, la lukanka bulgare, le fuet espagnol, la mustamakkara finlandaise, notre Morteau nationale, la Gyula hongroise, la mortadelle italienne, la krakowska polonaise, le chouriço portugais, la saucisse de vin tchèque ou encore la saucisse de Pleșcoi en Roumanie en sont autant d’exemples. Qu’elle soit bouillie, épicée au piment ou au paprika, séchée ou fumée, agrémentée d’une ou de plusieurs viandes ou végétarienne, la saucisse s’est imposée comme le mets préféré des 27 : à la fois roborative, généreuse et rustique. Vive les saucisses ! Vive l’Europe !

Cultivée et consommée dans toute l’UE, la pomme de terre se prépare de mille façons : frite, bouillie, en galette, en purée, en crêpe, en gratin, en gâteau, sautée ou rissolée. On le sait peu, mais son succès planétaire repose sur deux atouts majeurs qui font de la patate l’arme secrète de l’ONU pour atteindre la sécurité alimentaire : elle pousse facilement sur tout type de sol (et même chez nos amis scandinaves) et c’est un aliment particulièrement nourrissant. Qu’on l’accommode de beurre ou d’huile d’olive, la pomme de terre représente la démocratie dans toute sa simplicité. Idéal pour tenir les longs débats à la Commission ou au Parlement.

DESSERT

Le Diplomate

Selon la légende, le nom de ce dessert emblématique serait une invention de Talleyrand pendant le congrès de Vienne, qui réunit les diplomates des pays vainqueurs de Napoléon Ier en 1815 pour définir les nouvelles frontières européennes et négocier les conditions de la paix – en somme, un des premiers sommets européens. Ce gâteau composé de biscuits à la cuillère, de fruits confits et d’une crème parfumée au rhum ou au kirsch permettra à coup sûr d’adoucir les transactions des ambassadeurs de l’UE.

POUR FINIR

Les Digestifs

Après un expresso ou un café viennois, le choix des digestifs (ma grand-mère, qui connut un monde sans Union européenne, parlait de “pousse-crotte”, preuve que l’on a bien évolué) sera large : aquavit, grappa, calva, vodka ?

Bonan apetiton !*