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Illustration, ZEROZORO

COPY CHORÉ

Par Simona Gouchan

La danse n’échappe pas au plagiat. L’occasion de déceler chez les chorégraphes ces “hommages”, “influences” et autres “inspirations”.

Selon Roland Lienhardt, avocat spé un large public, fait inespéré pour de la cialisé dans la création artistique, les danse contemporaine, mais déplore la attaques en contrefaçon sont rarissimes dans le monde de la danse. En plus de vingt ans de carrière, l’avocat cite un seul cas où la contrefaçon a été reconnue comme telle, celui de Philippe Decouflé, condamné à 30 000 euros de dommages et intérêts pour avoir repri l’intégralité d’une gestuelle de la compagnie Les Élastonautes pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’Albertville en 1992. Il fallait oser ! Beyoncé n’est pas étrangère aux polé- miques de plagiat, elle figure même dans la catégorie des multirécidivistes. En 2011, la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker – une Queen B de la danse d’avant-garde – s’étonnait des simili- tudes entre la vidéo Countdown de la star texane et le film que le réalisateur Thierry De Mey avait tiré en 1997 de Rosas danst Rosas, une de ses plus célèbres créations, ainsi qu’avec sa pièce Achterland (1994). Beyoncé ne se laisse pas démonter et ad- met que le ballet Rosas danst Rosas était l’une des nombreuses références pour sa vidéo. Et d’ajouter que, vu l’audience de son clip, c’est plus que de la publicité pour la chorégraphe flamande. Cette dernière se félicite en effet de voir sa pièce atteindre un large public, fait inespéré pour de la danse contemporaine, mais déplore la façon de procéder, tout en s’interrogeant : “Est-ce que cela signifie qu’il faut trente ans à la culture populaire pour recycler des performances expérimentales ?”

UNE SERIAL COPIEUSE

Madame Carter avait déjà été épinglée à deux reprises. La chorégraphie iconique de sa vidéo de Single Ladies (2008) emprun- tait des mouvements de façon un brin trop ostensible à celle de Mexican Breakfast (1969) du légendaire chorégraphe de Broadway, Bob Fosse, à qui l’on doit la co- médie musicale Chicago. Et que dire de sa prestation époustouflante aux Billboard Music Awards en 2011, où elle chante Run the World (Girls) sur fond de chorégraphie synchronisée avec des projections vidéo ? L’artiste italienne Lorella Cuccarini avait réalisé un show de ce calibre un an plus tôt. “Ma maquilleuse m’a montré la per- formance de Lorella Cuccarini il y a un an, et ça m’a énormément inspirée, explique alors la reine du R’n’B… Heureusement que YouTube existe ou je n’aurais jamais vu une chose pareille !”

En France, le cas Yoann Bourgeois, chorégraphe du célébrissime clip As It Was de Harry Styles sorti en 2022 et l’une des figures de proue du cirque contemporain français, est celle qui a fait couler le plus d’encre ces dernières années. Début 2021, la publication d’une vidéo anonyme, L’Usage des œuvres, sur la plateforme Vimeo, révélait d’éton- nantes similitudes entre ses créations et celles d’autres artistes moins connus, certains ayant collaboré avec lui, no- tamment lorsqu’il était codirecteur du Centre chorégraphique national de Grenoble (CCN2) entre 2016 et 2022. Trois jours après sa mise en ligne, et sans jamais la mentionner, Yoann Bourgeois prend la parole sur le site du Centre na- tional des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARTCENA) pour expliquer que “l’histoire de l’art est une suite infinie de réinterprétations et de détournements d’idées, de motifs, de références. Toute création est à la fois le creuset et le lieu dynamique de multiples filiations, rup- tures et influences, proches ou lointaines, d’où la singularité du geste d’auteur fait naître une œuvre originale”. L’affaire prend de l’ampleur au cours des mois sui- vants, durant lesquels Bourgeois réfute catégoriquement les soupçons de plagiat.

PLAGIAT NON ASSUMÉ

En 2021, une pétition demande son départ anticipé de la direction du CCN2. Selon elle, la vidéo révèle un système “de l’appropria- tion par une seule personne d’un ensemble de fragments d’œuvres, de séquences, aux dépens de toute une communauté. Aucun plagiat n’est assumé par Yoann Bourgeois : le système qu’il défend pour s’affranchir de toute responsabilité juridique comme morale consiste à jouer de la frontière par- fois ténue entre les idées (de libre circu- lation) et leur concrétisation en œuvres (intrinsèquement protégées par le droit d’auteur). Que penser d’une institution chorégraphique, dont la première mis- sion est la création, qui aurait à sa tête un directeur qui traite ainsi les créations des autres ?” La pétition est restée lettre morte et le chorégraphe a terminé son mandat. Aujourd’hui, on peut lire sur son site qu’“il poursuit son développement artistique par des créations, des collaborations et des ate- liers dans le monde entier”. Mais sa page Wikipédia reste ternie par les accusations de plagiat. Sans doute pas la meilleure des cartes de visite pour un chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.