Du potager de ses grands-parents à la rigueur des cuisines étoilées, Victor Blanchet trace un parcours singulier où la cuisine devient langage, mémoire et création. Révélé par Top Chef, il se confie sur son enfance en Mayenne, ses inspirations multiculturelles, sa vision du métier et l’identité culinaire qu’il façonne aujourd’hui chez Halo, où il trouve un nouveau souffle. « J’ai grandi dans la cuisine. Aujourd’hui, je respire dedans » : le feu s’apaise sans jamais perdre en précision. Rencontre.
CitizenK : Tu as grandi à Laval, en Mayenne, dans les Pays de la Loire, où tu as passé tes 17‑18 premières années. À quoi ressemblait ton enfance ?
Victor Blanchet : Alors plutôt classique. J’ai grandi avec ma mère, mon père et ma grande sœur. Beaucoup de sport, pas très loin de l’école. Sinon, c’était plutôt classique : des copains, des copines… Une enfance lambda je dirais.
Et ton enfance en cuisine, elle ressemblait à quoi ?
J’ai attaqué à quatorze ans, donc j’étais assez jeune. Une enfance assez compliquée parce qu’on se retrouve en cuisine, à quatorze ans, en milieu d’adultes, avec des horaires d’adultes. On grandit très vite. On prend beaucoup de coups psychologiques, forcément. Mais je pense que ça m’a permis de grandir plus rapidement que beaucoup de personnes, et surtout de me trouver une voie. À cet âge-là, je n’étais pas sûr de vouloir faire ça toute ma vie. Je me suis dit : « J’aime bien la cuisine, je vais en faire un peu ». Et c’est vers 17-18 ans que j’ai compris que je voulais vraiment en faire mon métier.
Quel chanceux ! Il y a des gens qui mettent toute leur vie à trouver ce qu’ils veulent faire.
C’est vrai. J’en parle souvent à mes amis, à mes proches. J’ai eu la chance de trouver relativement tôt le métier que je voulais faire. Peut-être pas pour toute ma vie, mais au moins pour une grosse partie. Tant que je ne suis pas dégoûté, je reste dedans.
Qu’est-ce qui t’a donné envie, à 13 ou 14 ans, de t’essayer à la cuisine ? Tu as une anecdote précise ?
Non, pas vraiment. C’était surtout en troisième : je me suis demandé ce que je voulais faire. L’école, ce n’était pas trop mon truc. Je n’aimais pas le système scolaire, être derrière un bureau, écouter… J’avais besoin de concret. J’aimais le sport, et j’aimais bien cuisiner à la maison. On allait chez mes grands-parents, on récupérait des produits du jardin, on cuisinait ensemble bien que mes parents n’étaient vraiment pas de grands cuisiniers.
Donc on peut devenir un génie de la cuisine sans avoir appris de ses parents ?
Je ne sais pas, peut-être. En tout cas, on peut se débrouiller sans avoir de proches dans la restauration. Ma mère dira toujours que c’est grâce à elle, mais franchement… Je l’adore, mais non. Elle ne cuisine pas très bien. Ma sœur non plus. Personne dans ma famille n’est dans la restauration.
Qu’est-ce qui t’a inspiré alors ?
Je regardais beaucoup la télé. Top Chef déjà à l’époque. Je me disais que ce serait cool de le faire un jour. Neuf ans plus tard, je le faisais. Quand j’ai eu mon bac à l’école hôtelière, un prof m’a dit : « Dans cinq-six ans, on te verra à la télé ». Je lui ai répondu : « Non non, je veux juste faire de la cuisine ». C’est le premier que j’ai prévenu quand j’ai été sélectionné pour Top Chef.
Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience ?
Top Chef, c’est à la fois ma plus belle victoire et un de mes plus gros échecs. J’en rêvais, et j’y suis allé. Mais quand tu es compétiteur comme moi, l’élimination est dure. J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre. Peut-être que je ne m’en suis pas encore remis. Mais j’ai beaucoup appris, rencontré plein de gens, et ça m’a ouvert des portes.
Qu’est-ce que ton parcours apporte à ta cuisine aujourd’hui ?
La rigueur. Les cuisines dures m’ont cadré. On me disait souvent que j’étais un petit con. Mais ça m’a canalisé, ça m’a poussé à viser plus haut. Travailler dans des trois étoiles, avec des chefs rigoureux depuis 30 ans, ça t’imprègne. Je garde ça en moi et j’essaie de le transmettre.
Et côté influences ?
Mes amis d’enfance. Beaucoup venaient d’Afrique de l’Ouest. Je suis né en Haïti, adopté très jeune. Et finalement, la cuisine que j’ai connue, c’était celle de mes potes sénégalais, ivoiriens… Ce sont leurs plats, leurs épices, leurs manières de cuisiner qui m’ont formé. Sur la carte, on a par exemple des Saint-Jacques avec des influences wolofs.
Pourquoi autant de produits de la mer dans ta carte ?
J’ai bossé en Bretagne, j’adore ça. J’ai aussi travaillé au Clos des Sens, puis à l’Arpège où j’étais en poste viande, même si le végétal y est roi. Aujourd’hui, je préfère cuisiner du poisson. Mon plat fétiche, c’est le rouget façon bouillabaisse.
Pourquoi la bouillabaisse ?
Avec Victor et Mathieu (binôme fondateur de Halo, ndlr), on était à Marseille. On s’est dit : « Qu’est-ce qu’on mange ici ? » Forcément, bouillabaisse. On est allés en goûter une, et direct, j’ai voulu en faire une version parisienne, plus gastronomique, plus compacte, plus visuelle, mais sans trahir les marqueurs.
S’il y avait un fil rouge dans ta cuisine, ce serait quoi ?
Trois mots : Méditerranée, Pays basque, International. Victor vient du Pays basque, Mathieu de Marseille, et moi j’adore les cuisines du monde : Asie, Afrique, États-Unis. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un style. Je suis encore trop jeune pour avoir une “signature”.
Tu refuses le principe de signature ?
Oui. Dire “ma signature c’est ça”, c’est se condamner à répéter. Moi, j’ai envie d’évoluer. Tant qu’un produit m’émeut, je veux pouvoir le cuisiner, quel que soit son terroir.
Tu te définis comme artiste, artisan, créateur ?
Artiste. Parce qu’aujourd’hui on ne fait pas que cuisiner. On collabore avec des marques, on crée des menus inspirés de collections, de parfums, de bijoux. C’est de l’art.
Est-ce que tu penses que ta génération casse les codes ?
Oui. Avant, il fallait une image stricte, pas de tatouages, pas de boucles d’oreilles. Moi, j’ai été recalé à cause de ça. Maintenant, je veux permettre à d’autres d’être eux-mêmes. Ce n’est pas ta gueule qui compte, c’est ton assiette.
Est-ce que Halo est le premier endroit où tu peux être toi-même ?
Totalement. Avec Victor et Mathieu, on a posé les bases dès le début. Je suis parfois excessif, je peux changer de look du jour au lendemain. Mais ici, on laisse de la place à l’expression, tant qu’il y a de la rigueur en cuisine. Je peux être moi.
Tu revendiques le fait d’être toi-même. Tu as beaucoup de tatouages. Y en a t’il un en rapport avec la cuisine ?
Oui, mais il est très discret. Je ne voulais pas un couteau ou une fourchette. Je me suis inspiré de Fullmetal Alchemist, un manga où les personnages dessinent des cercles de transmutation. Et à l’Arpège, où j’ai beaucoup appris, il y a le plat “chimère”. J’ai fait un tatouage autour de ça, avec les quatre éléments. Tout y est : le feu, la terre, l’air, l’eau. Pas besoin d’un fouet sur l’avant-bras.
Halo Paris
32 rue Saint Sauveur
75002 Paris
Du mardi au samedi • 19h – 2h
Réservation en ligne : https://www.halo-paris.com