En Israël, les adolescentes portent l’uniforme. Photographe et ancienne recrue, Rachel Papo revient aujourd’hui, images à l’appui, sur cette singulière expérience.
Ailleurs dans le monde occidental, elle se servirait de sa main pour prendre avant tout des notes, et puis de sa tête, encore et encore, pour engranger des connaissances de sorte à intégrer la meilleure des écoles possible; ici, la jeune fille de 18 ans n’a pas le choix en matière de zèle. La discipline militaire, à quelques rares exceptions près – déjà mariée, enceinte, très religieuse -, la cueille dès la sortie du lycée pour une période de vingt et un mois. Bouche, mains, tête, pieds: tout le corps, et l’esprit avec, est pris par ce service qui n’a rien d’une initiation d’opérette dans un pays au mieux menacé d’attentats permanents, au pire en guerre perpétuelle. D’abord, donc, ceci: “Je jure solennellement (..) de vouer toutes mes forces et de sacrifier ma vie pour ce pays et pour la liberté d’Israël”: telles sont les paroles performatives d’une cérémonie officielle qui, de facto, relègue au second plan la minette délicate, l’intello timide ou la fêtarde hardcore pour niveler, avant tout, ces patriotes qui seules comptent désormais.
Puis, après une période d’apprentissage de cinq semaines uniquement entre femmes, ce sera l’intégration dans l’armée. Peu iront cependant rejoindre les unités de combat, où hommes et femmes restent de toute façon séparés ; la majorité sera affectée à la difficile police des frontières, à la DCA, aux formations nucléaire, bactériologique et chimique, ou encore aux postes paramilitaires (juristes, médecins…). D’après le ministère des Affaires étrangères israélien, “la victoire requiert davantage que la force physique ou qu’un armement sophistiqué – elle requiert la force de l’esprit”. Le problème, c’est que ce type de force vient parfois à manquer à une toute jeune personne “subitement soustraite à son environnement à un âge où les questions sexuelle, éducative et familiale sont au plus haut point de leur exploration”, explique la photographe israélo-américaine Rachel Papo.
Celle-ci a passé presque deux ans sous les drapeaux bleus et blancs entre 1988 et 1990. Aujourd’hui, elle ne cache pas que cette période fut marquée pour elle par “une dépression continuelle et une extrême solitude”, qui l’a décidée, sans doute en manière de catharsis, à réaliser une série de clichés sur le sujet. Loin des figures de légende d’un sionisme historique où l’égalité hommes-femmes ne fut pas un vain mot, plus loin encore de l’imagerie qui fait de Tsahal la meilleure armée du monde et de ce service unisexe un symbole social fort, ce que veut montrer Rachel Papo, c’est une “facette méconnue” de cette exception.
Par le biais de ce travail, elle a souhaité “surprendre des instants d’incertitude, de questionnement, de réflexion identitaire”, en somme des moments où la dimension militaire, vite transformée en quotidien, devient soudain incongrue. Certaines photos, en effet, produisent un fort effet de contraste : baba-cool flanqué d’un Uzi mais aussi de dreadlocks dignes d’un vieux Jamaïcain, frêles nymphettes en gros godillots, rangée de soldates, vues de dos, donc interchangeables. Et puis il y a ces regards perdus dans le lointain, désert mythique de tous côtés, ou ces postures assises, qu’on devine relever de l’épuisement parce que visiblement non réglementaires. Pour l’artiste, la cause est entendue : tout cela est une très mauvaise idée. Et pourtant ce n’est pas toujours, à son appareil défendant, ce qu’expriment ses images. Le prisme de la douloureuse expérience personnelle n’efface pas entièrement ce qui, même dans une armée, permet à la joie du collectif d’éclore.