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L’indigestion de restos « instagrammables » 

Par Sirine El Ansari

La donne a changé dans le monde de la restauration : aujourd’hui, pour satisfaire une clientèle constamment à l’affût du prochain cliché Instagram, un plat doit être plus que beau, il doit être photogénique. Le plaisir gustatif, lui, passe après l’algorithme. 

L’insipidité qui se dégageait des critiques sponsorisées de restaurants sur Instagram était suffisante pour nous alerter du basculement vers le vide gastronomique. Avec elle, la création de contenus food sur les réseaux a fait apparaître des établissements pensés et établis pour des clients en quête de décors et de tables “instagrammables”, une mention de plus en plus présente dans les guides de restaurants. À coup de néons roses et de murs de fleurs en plastique, ces restaurateurs  d’un nouveau genre n’hésitent plus à surfer sur des tendances éphémères, sacrifiant la longévité d’un lieu au profit d’un concept original et tape-à-l’œil qui suscitera à la fois l’attrait d’une clientèle physique et une audience sur les réseaux. Des photos surchargées aux filtres trompeurs, l’expérience en restaurant est toujours plus décevante et correspond rarement à celle d’un influenceur rémunéré pour en faire la publicité. Réduits à être agréables à regarder, les plats se révèlent souvent médiocres en bouche, frôlant l’indécence gustative pour quelques milliers de likes. À quoi bon s’évertuer à être bon quand la clientèle ne demande pas plus qu’un beau cadre à photographier ?  

Dans cette marée de contenus digitaux dédiés à la food, les influenceurs emportent également avec eux le plaisir sacré de la découverte : il n’est presque plus pensable de se rendre dans un restaurant sans jeter préalablement un coup d’œil aux assiettes sur Instagram et Google, où comment se fier à ses yeux plutôt qu’à ses papilles. Certes, ce qui fonctionne en ce moment est axé sur le paraître et l’esthétique, mais en cherchant à être originaux et en implantant des concepts soi-disant nouveaux en France, ces entrepreneurs food se verront contraints de faire face à l’uniformisation de ces établissements à l’international : ce n’est qu’une question de temps avant que le grand public ne se lasse de ces restaurants copiés-collés, sans grande autre recherche que celle de générer du revenu et de l’engagement. 

S’il est plus facile de rejeter l’entière responsabilité sur le milieu de l’influence, il serait vain d’en faire autant quand on connaît les lois qui régissent les plateformes que nous utilisons au quotidien. Sur les réseaux sociaux, les formats courts sont ceux qui rencontrent le plus de succès : les vidéos doivent être brèves et percutantes pour susciter de l’intérêt aux dépens d’un contenu plus long, souvent moins sensationnel et, de ce fait, moins engageant. Les utilisateurs sont à la fois les victimes et les bourreaux de cette dynamique, avides et friands de contenus facilement digérables et en recherche constante d’originalité et d’innovation. L’acte le plus radical pour échapper à cette spirale infernale ? S’abandonner à l’inconnu et accueillir à la fois la surprise et la déception qui accompagnent toute découverte authentique. La digital détox, gage d’un plaisir gustatif retrouvé ?