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Photographe : An le @annelstudio

De la mode à la musique, l’hérésie frénétique de Nabil Harlow

Par Justine Sebbag

Nabil Harlow, ancien coiffeur et directeur artistique de Balmain Hair, a rangé ses ciseaux pour faire entendre sa voix avec la sortie de son premier EP L’Hérétique, dans les bacs depuis le 3 février dernier. Enfant des années 1980, ses influences musicales sont un mix & match composite allant de la musique classique version Disney à la variété française aux paroles impertinentes. À l’occasion de son grand saut dans l’industrie musicale, Nabil Harlow s’est confié à Citizen K à propos de sa nouvelle carrière, de ses inspirations et du manque de représentation. des personnes d’origine maghrébine sur la scène pop. Rencontre avec ce nouveau venu énergique qui veut ébouriffer la chanson française

CitizenK International : Tu as commencé ta carrière dans la mode à travers la coiffure. Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours dans cet univers ?

Nabil Harlow : J’ai passé environ vingt ans dans l’industrie de la mode, en commençant très jeune comme coiffeur. Ensuite, j’ai travaillé en tant que directeur artistique chez Balmain Hair pendant six ans, où j’ai créé des campagnes publicitaires, des images et des produits. J’ai donc officié dans ce domaine presque toute ma vie !

CitizenK International : Comment es-tu passé de la coiffure et du luxe à la musique?

Nabil Harlow : C’était un peu une évidence ! C’était un rêve pour moi de faire de la musique, ça a toujours été une passion. Pendant le confinement, j’étais enfermé chez moi et je me suis demandé de quoi j’avais envie pour la suite, les challenges que je voulais me fixer. J’ai ressorti des démos et je m’y suis remis. J’ai commencé à faire une chanson, puis deux, puis trois… je ne pouvais plus m’arrêter (rires).

CitizenK International : Ça veut dire que tu avais déjà un intérêt pour la musique depuis un certain temps ?

Nabil Harlow : Oui, j’ai commencé très tôt la musique. La mère d’une amie était prof de piano et elle me donnait des cours dès mes 5 ou 6 ans. Puis j’ai découvert Tchaïkovsky à travers Fantasia de Disney et je suis tombé amoureux de la musique classique. Cette passion ne m’a jamais quitté.

CitizenK International : Comment es-tu passé du classique à quelque chose de beaucoup plus pop et contemporain ?

Nabil Harlow : Je pense que cela est dû à mes influences. En tant qu’enfant des années 1980, j’ai écouté de la musique toute mon enfance et j’ai toujours aimé ce genre de sonorités. Je ne cherche pas spécialement à créer « le son de demain ». Ce qui m’intéresse, c’est de mettre en musique les choses qui m’obsèdent. J’aime travailler sur des sujets que je connais bien et sur des musiques qui me touchent. Je suis arrivé à ce style musical en modernisant des sons que j’écoutais quand j’étais plus jeune. Il est toujours difficile de définir sa musique, mais je dirais que ce que je fais est un mélange de toutes mes influences.

CitizenK International : Quels sont les artistes qui t’influencent?

Nabil Harlow : J’écoute surtout des choses que j’aimais par le passé. J’adore Michel Polnareff, Nina Morato, Etienne Daho, Mylène Farmer…  tous ces artistes ont une écriture particulière, ce sont comme des poètes pour moi. Au-delà de l’écriture, on ressent de vraies sensations lorsqu’on les écoute. Ils transmettent des messages qui m’ont parlé à plusieurs moments de ma vie. Quand j’écoute de la musique, j’ai besoin de ressentir quelque chose de fort.

CitizenK International : En février, tu as sorti un EP intitulé L’Hérétique. Pourquoi l’avoir nommé ainsi ?

Nabil Harlow : « L’Hérétique » est d’abord une chanson qui aborde le manque de représentation. En travaillant sur cette musique, j’ai pris Jeanne d’Arc comme exemple car elle a été brûlée vive pour hérésie avant d’être érigée en icône. J’ai l’impression que pour les Maghrébins (mais pas seulement), les représentations sont souvent caricaturales, et c’est quelque chose qui me touche, qui m’a parfois blessé. Je veux montrer qu’on peut être autre chose que ce que l’on voit dans les films, où les personnages « racisés » sont souvent cantonnés à des rôles stéréotypés tels que des gamins de cité ou des terroristes. Si les rôles sont bien écrits, ce n’est pas un problème, mais il serait bon de proposer autre chose. La chanson « L’Hérétique », qui a donné son titre à l’EP, traite de tout cela.

CitizenK International : Tu joues avec les esthétiques que tu crées d’un clip à l’autre. Dans celui de « C’est pas vrai » avec l’actrice Lyna Khoudri, tu t’inspires de la période glamour hollywoodienne des années 1940, tandis que dans « Le garçon du quartier », tu optes pour une ambiance plus queer et sulfureuse. 

Nabil Harlow : Je ne crois pas que je construise mon esthétique. C’est vrai que je m’inspire de plusieurs univers différents, mais c’est parce qu’ils me définissent, qu’ils m’ont construit ou qu’ils représentent mes obsessions. Quand j’ai vu Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1939) pour la première fois, je suis resté bloqué sur ce film, je suis tombé amoureux de Vivien Leigh et de l’époque victorienne. Tous ces décors, ces costumes me fascinaient quand j’étais gamin, parce que je ne comprenais pas comment on pouvait recréer tout cet univers d’une manière aussi réaliste. Ce sont des choses qui font partie de moi. Mais je n’ai pas une seule facette en termes de personnalité ou de goûts, je peux aimer des choses qui appartiennent à un univers que l’on qualifierait d’urbain, par exemple. J’ai grandi en banlieue, et ça fait également partie de mon identité. Ce sont des images que je connais bien et qui sont naturelles pour moi. Puis il y a aussi tous mes fantasmes qui viennent nourrir mon esthétique. Dans « C’est pas vrai », il y a ce fantasme de l’âge d’or hollywoodien des années 1940 avec des actrices que j’adore : Jean Harlow, Joan Crawford, Greta Garbo…

CitizenK International : Ce qui n’a rien à voir avec l’esthétique sulfureuse du clip « Le garçon du quartier » justement…

Nabil Harlow : J’avais envie de faire passer un message avec ce titre. Dans « Le garçon du quartier », j’avais envie de montrer une réalité qui n’est pas forcément mise en avant, toujours dans un souci de représentation. C’est une chanson qui parle d’une histoire d’amour entre deux garçons dans une cité et de ce qu’ils doivent mettre en place pour pouvoir être ensemble sans que la société les juge. C’est quelque chose que j’aurais aimé voir quand j’étais plus jeune.

CitizenK International : Pourrais-tu envisager une collaboration avec le monde de la mode dans le cadre de ta carrière musicale ? Ou est-ce que c’est définitivement fini entre toi et la mode ?

Nabil Harlow : Je ne pourrai jamais dire que c’est fini entre la mode et moi, car c’est une véritable histoire d’amour. Et lorsqu’on est tombé amoureux, cela ne s’arrête jamais vraiment. La mode fait partie de ma vie, et c’est quelque chose que je pratique toujours à travers l’image et les clips. Et puis, la mode est omniprésente, dans la rue, les transports en commun…

CitizenK International : Qu’est-ce qui t’attends pour la suite ?

Nabil Harlow : Là, j’ai presque terminé mon album. Étant au début de ma carrière, tout commence pour moi. J’espère réussir à toucher les gens comme j’ai été touché et à transmettre un message à travers mes chansons. Avoir la chance de le faire sur scène serait bien sûr un rêve pour moi.