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Les premières courses à motos, années 1910 © Board Track Tribute Society

Bécanes, vitesse et gazole : l’âge d’or d’Indian Motorcycle

Par Justine Sebbag

En juin dernier, Citizen K s’est rendu au festival Wheels & Waves qui se déroulait sur la côte basque, à Biarritz. Au programme : des motards, du cuir, des deux-roues de collection et de la bière – il n’en fallait pas beaucoup plus pour nous convaincre. Invitée par la toute première marque de motos américaine Indian Motorcycle, la rédaction de Citizen K a joué le jeu et s’est immergée dans la culture des bikers. À l’occasion de nos déambulations au cœur du village du festival et sur le stand d’Indian, partenaire principal de l’événement depuis six ans, nous avons fait la rencontre d’un ambassadeur pas comme les autres. Passionné de motos, Gilbert Andrieu reproduit à l’identique des modèles légendaires datant du siècle dernier, dont les premiers coureurs prenaient le volant à leurs risques et périls. Si le phénomène est incontournable aux Etats-Unis, il reste méconnu dans l’Hexagone. Accrochez-vous bien pour ce retour sur l’histoire fulgurante des toutes premières courses à motos. 

Au début du XXe siècle, alors que le tumulte de l’industrialisation résonne dans toute l’Amérique du Nord, un nouveau phénomène émerge et conquiert le cœur d’un public en quête d’adrénaline. Les courses de motos font leur apparition, avec le spectacle électrisant du motodrome, rapidement surnommé murderdrome par les journaux (le champ de bataille, NDLR.). Dans une atmosphère enivrante de vitesse et d’insouciance, une marque règne en maître : Indian Motorcycle. Née en 1901, elle s’est rapidement imposée comme pionnière dans le monde de la moto. À l’époque, le plaisir de conduire une Indian est inégalé et il ne faudra pas longtemps pour assister à la gloire de ce nouveau divertissement alliant allure extrême, danger et sens du spectacle. La puissance des motos dépasse les capacités des pistes hippiques et vélodromes traditionnels, ce qui nécessite la création d’un nouveau site pour satisfaire cet appétit croissant pour les sensations fortes. C’est ainsi qu’apparaissent les premiers motodromes, des pistes en bois en forme de soucoupe permettant des démonstrations grisantes de vitesse et de prises de risque. Cette transition est encouragée par John Shillington Prince, champion britannique de cyclisme à grande roue, dont l’esprit visionnaire donne naissance à la révolution des pistes de course. En l’espace de cinq ans, de 1909 à 1914, vingt-six motodromes sont érigés à travers les États-Unis. Ces arènes colossales en bois, avec des talus abrupts et des tribunes pouvant accueillir des milliers de spectateurs, ouvrent la voie à un nouveau type de spectacle qui captive les foules.

Imaginez que vous y êtes. Alors que le soleil se couche sous l’horizon, projetant de longues ombres sur la piste en bois du motodrome, flottent dans l’air l’odeur de l’essence et la ferveur des spectateurs, les yeux rivés sur la scène qui s’étend devant eux. Les circuits, avec leurs pentes raides et leurs courbes vertigineuses, ressemblent à un périlleux champ de bataille où hommes et machines  s’affrontent dans un combat défiant les lois de la physique. Au milieu des acclamations bruyantes de la foule et du rugissement des moteurs, les premiers pilotes, de jeunes âmes audacieuses aux nerfs d’acier, enfilent leurs casques et lunettes de cuir. Des noms comme “Cannonball” Baker ou “Fearless” Fred Davis deviennent des légendes, repoussant les limites de la vitesse sur leurs fidèles bécanes Indian. Dirigé par George Hendee et Oscar Hedström, le label Indian Motorcycle s’impose alors comme une force dominante, produisant des machines qui conquièrent les pistes en bois avec vigueur. Grâce à leur ingénierie impeccable et leurs moteurs puissants, les modèles Indian deviennent un premier choix pour ces pilotes intrépides. Leur capacité à franchir des virages dangereux à des vitesses stupéfiantes vaut même le surnom de “Wrecking Crew” (équipe de démolition, NDLR.) à l’équipe de pilotes Indian Motorcycle, pour leur habileté à dominer les pistes. 

À mesure que le sport prend de l’ampleur, les légendes autour des motos Indian se développent elles aussi. Les spectateurs s’émerveillent devant ce spectacle aussi étourdissant qu’angoissant, où les pneus des pilotes frôlent de quelques centimètres seulement les planches de bois, défiant la loi de la gravité ainsi que leur destin. Le motodrome devient le terrain d’essai de toute une génération de casse-cou curieux de la mécanique, un lieu qui fabrique des héros mais où les blessures ne sont pas belles à voir. Cette époque n’est pas sans danger et la folie du motodrome est risquée. Le surnom de murderdrome ne relève pas seulement du sensationnalisme ; il rappelle les risques auxquels s’exposent les pilotes à chaque fois qu’ils prennent la piste. Les tragédies sont fréquentes et les accidents impressionnants. À l’instar de celui du 8 septembre 1912, où le pilote Eddie “Texas Cyclone” Hasha trouva la mort au volant de sa Big Base Indian 8-Valve au motodrome de Newark dans le New Jersey. Percutant un rail externe de la piste en bois, il entraîne dans sa chute le pilote Johnny Albright ainsi que quatre spectateurs dans un bain de sang qui fera la une des journaux dans tout le pays. À cette période, l’ère des motodromes est à son apogée mais la fin de la Première Guerre mondiale amène avec elle une refonte de l’industrie, qui entraîne le déclin des motodromes en raison de problèmes de sécurité, de coûts d’entretien élevés et d’une aversion  croissante du public face aux accidents. 

Entre triomphe et tourmente, Indian Motorcycle laisse une marque mémorable sur le monde de la course. Leurs motos sont devenues des symboles d’innovation, de vitesse et de résistance américaine. Et bien que les motodromes aient fini par disparaître, l’héritage de ces premières courses de motos et la place centrale d’Indian Motorcycle sont restés ancrés dans l’histoire des courses américaines. Aujourd’hui, l’esprit de ces pilotes téméraires et de leurs motos tonitruantes perdure grâce à des animations moins dangereuses mais tout aussi impressionnantes pour le public, comme le “Mur de la Mort” qu’Indian Motorcycle ne manque pas d’apporter à chaque nouvelle édition du festival Wheels & Waves. Un rendez-vous immanquable pour les passionnés de mécanique, de motos anciennes et de courses, où les mythes et légendes de l’âge d’or des courses de motos reprennent vie. Réunis sous la chaleur écrasante du chapiteau, les festivaliers ressentent alors pour un court instant l’effervescence et l’adrénaline de ces premières courses sur piste en bois. Et que l’on aime ou que l’on déteste, il faut reconnaître que ça décoiffe.