Cœur battant de Nino, premier film de Pauline Loquès présenté à la Semaine de la Critique cette année, l’acteur québécois – déjà vu chez Xavier Dolan, Ari Aster, Lionel Baier ou Sophie Dupuis – bat la mesure avec une justesse déconcertante, tout entier au jeune homme qu’il campe, déboussolé par une annonce brutale. Entretien sans filet à l’occasion de la sortie du film, le 17 septembre.
Nino est un film où Paris recueille – comme elle chahute – le grand garçon taiseux, asynchrone et autrement sensible que vous incarnez. Comment avez-vous abordé son rapport particulier à la ville, qui s’épaissit au fil de sa déambulation ?
Quand nous avons débuté le tournage en octobre 2024, j’avais déjà joué le marquis de La Fayette dans Franklin, avec Michael Douglas, et Jacques de Bascher dans Becoming Karl Lagerfeld, deux séries qui se déroulent en partie dans la capitale ; la ville m’était donc très familière. Mais pour Nino, c’était un autre Paris – actuel, loin de la carte postale, qui se rapproche plus de ce que je considère comme le vrai Paris. C’est celui de Pauline (Loquès, la réalisatrice, Ndlr), son quartier, ses rues… Le Paris qu’elle aime, dans lequel elle se reconnaît et qui la touche. Le film m’a permis de redécouvrir la ville à travers Nino. Ça a été beaucoup plus doux, davantage à échelle humaine. Et puis sur certains aspects, c’était bien d’avoir Paris dans le corps.
Justement, quel a été votre travail pour trouver l’allure, la démarche de Nino, qui connaît un état de flottement dans son rapport au monde ?
Je crois que ce que Pauline m’a le plus dit en amont du tournage, c’est de ne rien faire, de simplement être là. J’ai fini par comprendre ce qu’elle entendait par là. Nino est un personnage dénudé, qui se laisse porter par les autres, par la ville ; ce n’est pas du tout un personnage qui joue. J’ai incarné beaucoup de personnages qui mettent un costume, qui jouent pour traverser le monde, pour survivre, pour s’affirmer, pour créer… Ils m’intéressent, mais disons qu’ici, je ne pouvais pas jouer. Et puis, de manière générale, je pense que le corps est l’espace où je suis le moins apte à faire des choix conscients ; la façon de se mouvoir d’un personnage me vient comme une évidence.
La démarche de l’artiste serbe Marina Abramović – où elle fixe du regard un visiteur pendant une durée aléatoire – est même mise en pratique dans le film, lors d’une scène bouleversante, qui fait elle-même écho aux nombreuses rencontres, courtes mais denses, que connait Nino tout du long. Comment avez-vous vécu ces face-à-face avec cette foule d’actrices et acteurs ?
Je les ai tellement tous trouvées géniales – puisqu’il s’agit principalement de femmes –, tellement parfaitement justes pour ce que les scènes devaient dire du personnage ; elles sont vraiment venues soutenir Nino, d’autant qu’il devient un peu spectateur de ces rencontres. C’était un aspect assez essentiel du film car c’est un personnage qui est en flottement, qui se laisse porter par autrui, qui est à l’écoute, qui, lui, n’arrive pas à parler… En tant qu’acteur, le fait de pouvoir suivre mes partenaires de jeu était très important ; ce sont des moments où l’autre vient donner la note. Au final, ça revient à ce que Pauline m’avait demandé : ne rien faire.
En parlant de note, et plus généralement de musicalité et de rythme, vous avez incarné des rôles aussi bien en québécois, en anglais – actuellement avec Lurker d’Alex Russell (inédit en France) – qu’avec l’accent français. Qu’est-ce que cette gymnastique linguistique vous procure ?
J’ai énormément travaillé pour parvenir à un accent américain crédible et je crois que jouer dans ma langue seconde a contribué à développer mon oreille. En revanche, pour l’accent français, je n’y pense presque pas ; il y a une aisance, puisque c’est ma langue maternelle, et un plus grand plaisir de jeu quand je le prends. Le chemin est plus direct parce que les mots ont une histoire, une sensibilité, une sensualité, ce qui fait qu’ils peuvent me surprendre quand je joue. En anglais, tout ça est un peu recréé ; il y a un chemin qui est plus construit, volontaire. La langue met une distance que je dois activement choisir de tenter de pallier.
Le personnage de Nino semble tellement vous coller à la peau qu’il ne doit pas être si aisé de le laisser gagner les écrans de cinéma et de vous projeter dans la suite…
C’est moins une question de rapport au personnage, que j’ai plus exploré pendant le tournage, qu’une question de rapport au film. Il me touche beaucoup, dans la continuité de ce que je ressentais pendant le tournage ou même déjà à la lecture du scénario. Parfois, il s’écoule un temps assez long entre le moment où le tournage se termine, celui où le film est présenté en festival et le moment où il sort, alors que pour Nino, tout est allé relativement vite. Je ressens un peu déjà comme une tristesse, je n’ai pas envie de le laisser, je n’ai pas hâte qu’il soit derrière moi. En ce moment, j’écoute en boucle Fontaines D.C. (dont un titre figure dans la bande-originale, Ndlr), comme un moyen de garder le film en moi.
Nino de Pauline Loquès, 1h37, Jour2Fête
En salle le 17 septembre 2025