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En 1975, le comte de Saint-Germain réussit à convaincre Dalida d'enregistrer un duo intitulé Et de l'amour, de l'amour Crédit : COLLECTION CHRISTOPHEL/LECOEUVRE PHOTOTHEQUE/D.R.

Richard Chanfray, le séduisant amant de Dalida

Par Jean Delville

Il se disait immortel, interlocuteur privilégié de Louis XV, Richard Chanfray alias le comte de Saint-Germain fut l’amant durable et ingérable de Dalida. Retour sur un imposteur flamboyant. 

Si l’on s’en tient à l’état-civil de Richard Chanfray, il nait le 4 avril 1940 à Lyon. C’est d’abord un enfant de la DDASS, qui pratique la délinquance juvénile. Puis on le retrouve antiquaire peu prospère au look de play-boy 1970, qui tâte de la peinture et de la sculpture. Et de la prison aussi : il écope d’une condamnation à sept ans de réclusion pour vol. Sinon c’est un bel homme et un grand blond coiffé à la Daniel Guichard, en jeans pattes d’eph et poutre apparente. C’est avec cette silhouette très contemporaine qu’en 1972 il crève l’écran de la télé française, à l’occasion de l’émission Le Troisième Œil, consacrée à l’alchimie : Chanfray déclare sans rire être en fait le comte de Saint- Germain, fils présumé d’une reine d’Espagne et aventurier mondain actif vers le milieu du XVIIIe siècle qui épata les cours royales, à commencer par Louis XV (qui en fit un diplomate) et Madame de Pompadour, et les salons encyclopédistes avec ses expériences d’alchimie. Et surtout sa prétention à l’immortalité qui en aurait fait l’interlocuteur de nombreux people des siècles passés. Voltaire disait de lui : “C’est un homme qui ne meurt jamais et qui sait tout.” Casanova, qui le fréquenta, sera bluffé par certaines descriptions précises de sa part d’événements historiques et sa vaste culture et son don des langues. Mais c’est le 27 février 1794, à 93 ans, que le comte aurait quitté pour de bon cette terre. 

Un alchimiste qui porte beau

Et donc, en janvier 1972, à la télévision, Richard Chanfray reprend le flambeau, le titre et le patronyme du comte, revendiquant 17 000 ans et l’usage de 17 langues. Et pour donner consistance à tout ça, il se livre, devant le regard professionnel du populaire magicien télévisé Majax, à une expérience de transmutation du plomb en or, une routine alchimiste. Le sérieux de l’opération est sujet à caution, mais personne parmi les joaillers présents pendant ce numéro ne conteste, et depuis ce jour en tous cas Chanfray est “transmué” en comte de Saint-Germain. C’est évidemment une façon, pour ce mythomane narcissique, d’oublier sa réalité, son enfance sordide, ses débuts miséreux. Sa nouvelle vie de comte et de vedette est une revanche éclatante contre le sort. Côté journalistes on affecte d’y croire car Chanfray est un bon client médiatique : très à l’aise, charmeur, toujours de blanc vêtu (sauf quand il arbore un smoking classique), il écume avec sa chemise à jabot les émissions de variété où il promeut, sous le regard bienveillant des hommes de télé, son personnage fantasque et fastueux – une fois il exhibera complaisamment à la caméra une liasse de gros billets, censée pourvoir à ses “frais”. Et incidemment, il revendique, sans que ça fasse exagérément scandale, des sympathies nazies. 

C’est ce profil de vedette du 3e type qui lui permet de rencontrer, fin 1972, via le légendaire parolier Pascal Sevran, Dalida. La star, fragilisée par les suicides, en 1968 puis 1970, de son proche ami le chanteur italien Luigi Tenco et de son pygmalion et éphémère époux l’homme de radio Lucien Morisse, succombe au flamboyant aventurier, de sept ans son cadet. “J’aime les gens qui ont une histoire”, dira-t-elle à propos de son amant, et de fait, à cet égard, Richard de Saint-Germain a du répondant ! La star affiche et même médiatise sa liaison avec ce beau mec lancé dans le tout-Paris, qui sera son amant, son secrétaire, son chauffeur. Et un bon animateur de dîners en ville, avec son numéro de tables tournantes où il dialogue en copain avec des morts illustres. Mais assez vite la liaison devient tumultueuse, émaillée d’incidents plus ou moins graves : ainsi ce soir de juin 1976 où Chanfray, rentré très tard d’un dîner en ville avec Dalida à l’hôtel particulier de la chanteuse, à Montmartre, découvre dans une chambre de bonne un jeune homme torse nu ; le ton monte vite et, se croyant menacé, Chanfray lui tire dessus à la carabine, le blessant gravement au ventre : c’était en fait le petit ami de la bonne portugaise de la chanteuse. La victime restera plusieurs jours entre la vie et la mort à Bichat et le comte de Saint-Germain, dont la police n’ignore rien du passé plébéien et délinquant, se retrouve lui à Fresnes pour un mois : Dalida paiera la caution, et ira le chercher, en larmes, à la porte de la prison. Elle devra aussi annuler des galas d’été pour cause de dépression nerveuse. Et, cerise sur le gâteau, elle apprendra à cette occasion que son amant est tou jours marié à une jeune femme épousée quand il avait 19 ans. 

Le tour de trop 

Du reste Dalida paie, à tous les niveaux, sa liaison avec le colérique affabulateur qui exploite à fond la fortune de sa maîtresse, en cadeaux, espèces et séjours en résidences secondaires luxueuses, en Corse et à Saint-Tropez notamment. Elle est sans illusion depuis longtemps sur la mentalité irritable, vaniteuse, menteuse de son amant. Amoureux de la femme, mais jaloux de l’artiste, susceptible et agressif, il déclenche facilement des bagarres : Pascal Sevran dira qu’avec lui “deux dîners sur trois tournaient au drame”. Richard Chanfray de Saint-Germain est, sinon immortel, usant et ingérable. Oui mais, les premières années, Dalida en est sincèrement éprise. Elle l’aide, via son frère et impresario, Orlando, à tenter une carrière dans la chanson, se prêtant même, pour le premier 45 tours, à un duo avec lui intitulé Et de l’amour, de l’amour. À partir de là suivent deux ou trois chansons de variété sirupeuse qui ne croiseront jamais le succès. Puis un méchant soir, en Corse, devant une tablée d’amis, contrarié par le look de Dalida, l’alchimiste projette dans les airs le béret de la chanteuse d’un revers de main. Ce sera le geste de trop. Humiliée, elle fera pour la première fois chambre à part.