Oiseau au plumage exubérant, le paradisier fascine l’imaginaire depuis des siècles. Vedette de légendes improbables, il a envoûté les ornithologues et ensorcelé les joailliers, trop heureux d’inclure sa silhouette singulière dans leur bestiaire précieux.
Cartier, Van Cleef & Arpels, Mauboussin, Sterlé ou encore Boucheron ont tous succombé, livrant une myriade d’oiseaux incrustés de diamants, d’émeraudes, de saphirs et de rubis. Respectant rarement les dessins et aquarelles de naturalistes tels que Nicolas Robert ou Pierre-François de Wailly dont les vélins sont soigneusement conservés au Muséum national d’histoire natu-relle, ou la fameuse Histoire naturelle des oiseaux de paradis et des rolliers aux dessins de Jacques Barraband, les ateliers versent plutôt dans l’originalité la plus débridée, enroulant à leur gré les riches panaches des paradisiers. Mais pourquoi donc ces volatiles ont-ils ainsi été nommés? L’histoire s’avère plutôt insolite. En effet, il faut remonter au XvI° siècle pour trouver une expli-cation. En 1522, ce qu’il reste de l’équipage de Fernand de Magellan revient d’un tour de monde et débarque à Sanlúcar de Barrameda. Le Victoria, seul navire rescapé, ramène des Moluques, des oiseaux naturalisés d’une beauté étonnante.
OISEAU DE LÉGENDE
Les indigènes de Nouvelle-Guinée et des autres îles indonésiennes avaient coutume de vider les oiseaux de leurs os, de leur couper les pattes, puis de les fumer de telle façon qu’ils conservent leur aspect initial. C’est ainsi que les volatiles étaient vendus en Europe où ils faisaient sensation car on les prenait pour des sylphes, des esprits aériens ne pouvant se po-ser, en vol perpétuel. Les marins eurent beau protester, rien n’y fit. Le mythe de l’oiseau apode était né.
Il planait dans le ciel, s’accrochant aux branches grâce à ses longs filets caudaux. Il s’abreuvait d’air, de rosée et de nectar de fleurs et couvait en plein ciel ou au paradis même. On comprend mieux le caractère sacré des paradisiers, purs dès la naissance, qui tutoyait les sphères célestes, symbolisant parfois le détachement des contingences terrestres et l’aspiration aux “choses du ciel”. Les plumes vaporeuses et démesurées à l’origine du mythe l’assimilent parfois à une comète.
Curieusement, des savants ont relayé ces fables, comme le chirurgien Ambroise Paré (1509-1590), l’apothicaire poitevin Paul Constant qui possédait deux spécimens dans son cabinet de curiosités ou encore le célèbre Buffon (1707-1783). Il a fallu attendre les recherches zoologiques du xIx® siècle pour rétablir un semblant de vérité. Le thème de l’oiseau n’est pas neuf en joaillerie et apparait déjà dans l’Antiquité, de l’aigle d’Horus à la colombe du Saint-Esprit. Ce qui change avec le goût naturaliste, c’est la diversité des espèces. Du cygne à l’hirondelle, tous deux magnifiés par René Lalique, du paon, héros de Gustave Baugrand, aux inséparables de Van Cleef & Arpels, en passant par les perruches, les oies, le hé-ron, le flamant rose ou les colibris de Chaumet, ces joyeuses créatures communiquent la bonne humeur selon le poète italien Giacommo Leopardi dans son Éloge des oiseaux, paru en 1824. Des lors, pourquoi s’en priver? Parfois, il s’agit juste d’une plume, s’enroulant autour du cou comme chez Boucheron, ou en broche, chez Cartier ou Mellerio. Mais le plus solaire de la volière demeure l’oiseau de paradis, avec ses plumes interminables qui ondulent joliment. Cartier exploite déjà l’oiseau dans les années 1920, faisant appel à Peter Lemarchand dont les dessins, fidèles à la réalité, rappelle combien il aimait à passer du temps au zoo de Vincennes. La maison Van Cleef & Arpels aurait été la première à décliner l’oiseau de paradis en broche, à partir de 1927. Entièrement pavés de diamants, ils rehaussent avec bonheur le revers d’un tailleur.
Mauboussin ou Sterlé, bien plus tard, se jouant des modes ou s’adaptant aux exigences du moment, n’hésitent pas à rajouter de vraies plumes! En effet, l’un des paradisiers les plus spectaculaires sort des ateliers en 1942, à une époque où l’or s’impose et que le serti invisible s’épanouit, à la suite du brevet déposé par la maison en 1933. Nous sommes loin de la broche traditionnelle, il s’agit davantage d’une sculpture qui occupe l’espace avec une grâce infinie. Le corps en or gravé et poli laisse échapper de longues plumes aux inflexions élégantes, toutes serties de rubis et de saphirs cali-brés, un chef-d’œuvre du genre. D’autres suivront, venant enrichir ce bestiaire fabuleux, mais le modèle produit durant la guerre restera longtemps inégalé.
*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*