Connu pour ses compositions expérimentales, John Cage avait un autre domaine d’excellence, en apparence éloigné de la musique d’avant-garde : les champignons. Une passion dévorante qui, si elle lui a valu quelques indigestions, lui a surtout donné le goût de l’errance et du silence.
“Je suis arrivé à la conclusion que l’on peut apprendre beaucoup de choses sur la musique en se consacrant au champignon.” L’idée pourrait paraître farfelue si elle n’avait pas été avancée par l’un des plus audacieux compositeurs du xxe siècle : l’Américain John Cage. À sa mort, en 1992, les hommages pleuvent. Certains avancent qu’il était le plus grand philosophe du monde musical, d’autres un artiste révolutionnaire, un brin provoc. Rares sont en revanche ceux qui s’étendent sur sa fascination peu commune pour les champignons. Pourtant, ces organismes énigmatiques, ni animal ni végétal, ont pris une place à part dans la vie et le travail de Cage.
À LA CHASSE AUX SONS
Si Cage n’a pas souvent mis en avant sa relation aux fongus, il ne s’en est jamais caché. C’est par un court texte publié en 1954 dans United States Lines Paris Review – revue distribuée sur les paquebots transatlantiques – qu’il l’exprime avec le plus de clarté. “J’ai passé de nombreuses heures agréables dans les bois à diriger des représentations de ma pièce silencieuse”, écrit-il en faisant référence au morceau le plus célèbre de sa carrière. Souvent décrit comme “4 minutes 33 secondes de silence”, dans contact de l’humus, il faut remonter à ses jeunes années. En 1934, dans un pays en proie à la Grande Dépression due au krach boursier de 1929, Cage, 22 ans, est garçon de café à Carmel-by-the-Sea, à 500 kilomètres au nord de sa ville natale, Los Angeles. Il ne gagne qu’un dollar par jour et se met à chercher, affamé, de la nourriture gratuite autour de la cabane dans laquelle il vivote. La nécessité se transforme en hobby lorsqu’il commence à se faire un nom dans la musique en déposant sur les cordes de ses “pianos préparés” des objets altérant le son de l’instrument. Dans les années 1940, il participe activement au Black Mountain College – lieu de foisonnement artistique et utopie expérimentale dans la lignée du Bauhaus en Allemagne. Beaucoup de chercheurs 4’33, il faut plutôt tendre l’oreille aux sons ambiants : les chuchotements d’une salle de concert irritée par ce “rien” apparent. Dans son article, Cage ajoute que lorsqu’il joue cette partition dans la forêt “pour un auditoire composé de lui-même”, il s’agit d’adaptations, “ces transcriptions étant beaucoup plus longues que la durée populaire que j’ai fait publier”. Dans l’esprit du compositeur, la chasse aux champignons et aux sons seraient donc intimement liées. Mais l’artiste nous met en garde contre la tentation d’une étiquette : “Je ne m’intéresse pas plus aux relations entre les sons et les champignons qu’à celles entre les sons et les autres sons”, écrit-il.
*Cet article est issu de notre numéro d’Automne 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*