Dans l’usine à sous et à rêves qu’est la parfumerie, la capitale et ses adresses des beaux quartiers restent des valeurs indépassables.
Longtemps, il a disputé à Chanel No5 le titre de plus célèbre parfum du monde, de ceux que les GI en goguette rapportaient de préférence à leurs sweethearts. C’est que l’Evening in Paris lancé par Bourjois en 1928 (Soir de Paris en VF), composé comme le No5 par Ernest Beaux, et comme le N°5 floral aldéhydé, portait en son nom un mot magique. Cinq lettres synonymes plus que tout autres d’élégance et de romantisme : Paris. Poncif ? Certes. Mais efficace. Et soigneusement entretenu dès le xixe siècle. Car les parfumeurs français en butte à la concurrence étrangère, notamment anglaise et russe, ont veillé à installer la réputation de leurs sent-bon en promouvant la suprématie du bon goût parisien, affirme l’historienne Eugénie Briot dans La Fabrique des parfums, naissance d’une industrie du luxe (Vendemiaire, 2015). Il faut dire que plus que tout autre produit de prestige, le parfum requiert cette opération de marketing avant la lettre. Comment, sinon, sauf à être un nez exercé, juger de la qualité — et donc, justifier le prix — de cette marchandise immatérielle ? La plus-value conférée par la capitale de la mode sera l’un des ressorts les plus efficaces et les plus durables de cette mise en valeur du parfum français. Aussi, du Paris Bouquet des Parfums Delettrez (1886) au Parisian Musc de Matière Première (2016), en passant par le Paris tout court de Coty (1923), ce sont plus d’une cinquantaine de produits revendiquant le nom de la ville qui sont répertoriés par l’encyclopédie Perfume Intelligence — même Céline Dion s’est fendue d’un Paris Nights en 2007.
Paris en roses
Parmi ceux-là, un monument s’impose. Un bouquet de roses de la taille de la tour Eiffel, un sillage à la puissance de bang supersonique — il est lancé en 1983, ère du Concorde et des épaulettes -surdimensionnées : c’est le Paris de Sophia Grojsman pour Yves Saint Laurent, geste culotté d’un couturier qui signe de son nom celui de la capitale. Et qui pose la rose, fleur romantique par excellence autant que note emblématique de la parfumerie, comme équivalent olfactif de laCity of Love. Depuis, le cas a fait école. Pour les parfumeurs, Paris ne sent ni les effluves miellés des tilleuls de la place des Vosges, ni la senteur chaude de croissants s’échappant des souffleries des boulangeries (ni, a fortiori, le quai du RER B à la station Châtelet-Les Halles ou les pots d’échappement). Non. Paris sent la rose. C’est, en tous cas, le thème olfactif le plus souvent choisi lorsqu’il s’agit de composer un parfum qui l’évoque. Ainsi, La Fille Tour de Fer de Christopher Sheldrake pour Serge Lutens, réponse décalée de quatre décennies du mage de Marrakech à Yves Saint Laurent, est une variation sur l’accord de rouge à lèvres rétro de Paris (rose, violette), avec cependant davantage de naturalité que dans ce dernier. Un brin de verdeur, le crissant du cassis, le terreux de l’iris. Cette fille-là se serait plutôt laissée cueillir dans l’un des jardins des hôtels particuliers entourant le Champ-de-Mars. Piquée à un diadème de mariage en diamants présenté à l’Exposition universelle par le joaillier Mellerio, la rose sauvage de Couleur Vendôme est plus déroutante. C’est à l’occasion d’un partenariat entre la maison — sise à un jet de pierre précieuse de ladite place — et la marque indépendante Roos & Roos que Dominique Ropion a facetté ce faux soliflore. Est-ce même une rose ? Greffée à la fleur d’oranger, diaprée de tonalités d’iris, de lys, de jasmin et de mimosa, cette corolle inédite se mue en époustouflant bouquet qui réinvente avec maestria le thème classique du grand floral abstrait.
*Cet article est issu de notre numéro d’Été 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*