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Mama Roma - Zero zoro

MAMA ROMA

Par MAÏTÉ TURONNET, Photo par ZERO ZORO

Si parfois l’on se réclame parisien avant même que de se reconnaître français, il en est de même ailleurs. À Rome, par exemple, disons chez les Fendi.

Plus romaines que ces femmes-là, on ne voit pas. Elles vivent dans ces palais discrets que nul ne soupçonne, à Prati, quartier résidentiel mitoyen du Vatican, ou sur la colline de Monte Mario, au milieu d’une réserve naturelle d’où l’on a une vue époustouflante sur la ville. Elles ne courent pas les dîners mondains, ne nourrissent pas les feuilles de tabloïds, s’adonnent à un mécénat culturel important mais sans tapage (rien en commun avec La Grande Bellezza de Sorrentino, tout avec La Dolce Vita de Fellini — la collection 2017 ayant même été présentée sur la fontaine Trevi (rénovée grâce à elles). Ce sont, depuis 1925, les femmes de la Maison Fendi, entreprise vouée dès ses débuts au cuir, à la fourrure et l’excellence. Libres, opiniâtres, philanthropes, stratèges, travailleuses et patriciennes à la fois. 

Viva le donne
Prima inter pares, Adele, la fondatrice, dont le nom de naissance est Casagrande (de son mari, venu de Constantinople). Puis, à partir de 1964, leurs cinq filles, liées “comme les doigts de la main” : Paola, l’experte de la fourrure ; Franca, directrice des boutiques ; Alda, directrice des salons de couture ; Carla, la stratège chargée de l’image et de la communication ; sa cadette, Anna, responsable de la conception, décrétée la “plus créative” par Karl Lagerfeld. Le Kaiser à Rome ? Oui et jusqu’à la fin de sa vie. Embauché à l’unanimité par les cinq sœurs ayant collégialement hérité de l’actionnariat, créateur du double F (pour Fun Furs), sorte de parrain ad semper au titre de directeur artistique. Depuis que la marque a été rachetée par LVMH, c’est Kim Jones qui a pris la succession. Arrive ensuite Silvia, fille d’Anna, directrice artistique des accessoires et du prêt-à-porter homme, âme de la Maison qui, contrairement à ses cousins et cousines, y est restée “pour être avec (sa) mère”. Et enfin, Delfina, arrière-petite-fille d’Adele, qui a introduit “le seul art que Fendi ne pratiquait pas”, la joaillerie. Il est vrai que pour ce qui est de l’hôtellerie, de la mode pour enfants, des restaurants, meubles, montres, chaussures, couvre-chefs, lunettes, arts de la table et autres foulards en soie, l’entreprise y pourvoyait déjà. 

Et les parfums alors, demanderont ceux qui ont bien suivi, ils n’existaient pas ? Oh que si ! Vingt-neuf compositions qui nous ont laissé peu de mémoire, certaines sûrement épatantes, d’autres moins, mais déjà à peu près partout effacées par la nouvelle série dite “Fendi Collection”, sujet de cet article. Reprenons :

Casa Grande, écrit par Quentin Bisch pensant à Adele, est une sorte de “sfumato romain”. Une formule apparemment simple mais travaillée par strates, sous-tendue de détails et d’impressions. “Je voulais, dit-il, que cela reste un fantasme, celui d’une femme en fourrure dans un monde d’homme.” Du poil de bête, en 2024 ? Silvia Fendi rappelle que les ateliers n’emploient que des pelages provenant des mêmes élevages que ceux du cuir. “Personne ne crie au scandale en s’asseyant sur un canapé en vachette, alors pourquoi s’offusquer à propos d’un manteau ?” Pour en revenir à sa senteur, Bisch a voulu que ce soit une sorte d’archétype de faste ancien avec de l’oud, de la myrrhe, de l’ambre. Un peu comme Marlene Dietrich si elle avait été Anna Magnani dans un plan du film Orient Express où, enveloppée d’une étole de renard noir, elle disparaît dans les vapeurs du train en partance… La surprise, le mouvement, venant de la couleur, en l’occurrence une note de cerise qui explose le tout d’un rouge grenat indélébile. Quentin Bisch est celui des trois parfumeurs qui, avec Anne Flipo et Fanny Bal, a le plus œuvré sur ce septuple. 

*Cet article est issu de notre numéro d’Été 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*