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NAZANIN POUYANDEH, CELLE QUI PEINT COMME ELLE AIME

Par ZOE TEROUINARD

Pour survivre, certains luttent. D’autres rêvent. Nazanin, elle, peint. Elle peint depuis toujours, de sa chambre d’enfant en Iran à son atelier parisien. Elle peint ceux qui l’inspirent, en les photographiant avant de les placer dans des environnements fantasques. Elle peint pour se réapproprier le réel et s’en échapper un peu aussi. Elle peint pour garder le contrôle et se perdre parfois. Rencontre avec une artiste qui a fait de sa pratique sa raison de vivre.

Comment es-tu arrivée à la peinture ?

Je peins depuis que je suis toute petite. J’ai passé mon enfance et mon adolescence en Iran, dans un contexte social, politique et familial assez tendu. Avec le recul, je me rends compte que la peinture était mon espace d’intimité, de liberté, d’expression. Ma vie a toujours été liée à la peinture, depuis mon plus jeune âge.

Comment ton histoire personnelle a-t-elle influencé ta manière de peindre ?

Je peins des scènes qui apparaissent très narratives, parfois abstraites, ou comme dans des rêves où le fil de la narration n’est pas clairement défini. Cette peinture-là, avec ses nombreuses scènes et personnages, est indissociable de ma vie. Tous les événements de ma vie influencent ma création. Cependant, je ne peins jamais un événement de ma vie de façon littérale.

Je peins également des scènes inspirées de l’actualité mondiale, mais là encore, jamais de manière littérale. J’aime que les événements d’une vie ou d’une histoire influencent ma création de manière inconsciente, sans qu’elle devienne un simple reportage documentaire.

En tant qu’artiste et peintre, je ne considère pas que ma vie personnelle soit plus importante que celle du spectateur. C’est pourquoi je ne cherche pas à imposer mes expériences comme des éléments incontournables. Je crée des scènes universelles, où chacun peut retrouver une part de sa propre histoire.

Le phénomène d’identification est-il important pour toi ?

Lorsque je commence à peindre une scène, c’est très instinctif. Mon langage artistique est maintenant bien formé, même s’il évolue avec le temps. Il est étroitement lié à l’inconscient. Je fais confiance à mon instinct : quand une scène me vient à l’esprit, je la peins. Ce n’est souvent qu’après coup que je réalise son véritable sens. Il n’y a pas de décision rationnelle dans le choix des scènes, tout est émotionnel.

Dans tes peintures, les femmes occupent une place importante. Peux-tu nous en parler ?

Comme je parle de l’état du monde et de ma vision de l’humanité, mon vécu de femme transparaît naturellement dans mon œuvre. Cependant, j’évite les messages trop didactiques ou militants, car je considère que la création artistique est bien plus complexe qu’un simple message politique. Enfermer une œuvre d’art dans une case, qu’elle soit féministe ou politique, c’est la réduire. Pour moi, l’art est un espace bien plus vaste et mystérieux. Cela dit, mon expérience de femme y tient bien sûr une grande place.

Tes peintures sont souvent qualifiées d’hyperréalistes. Pourquoi avoir fait ce choix pictural ?

Je n’utiliserais pas le terme “hyperréaliste”, car il évoque une peinture qui ressemble trait pour trait à une photo. Moi, je m’inspire du réel, mais je le transpose dans un univers décalé, parfois improbable. Je parlerais plutôt de réalisme onirique.

Pourquoi ce choix du réalisme ? Représenter le réel procure un sentiment de pouvoir. Ce n’est pas un hasard si, dans certaines traditions religieuses, la peinture figurative et réaliste est perçue comme une tentative de rivaliser avec la création divine. Peindre une scène réaliste procure une jouissance particulière : le spectateur pense voir du réel, mais en observant plus attentivement, il perçoit peu à peu les distorsions qui le plongent dans un univers quasi rêvé.

Quel est ton processus de travail et de création ?

Pour une peinture réaliste, il existe des techniques classiques comme la projection d’images sur la toile ou le quadrillage. Moi, je préfère peindre à main levée, ce qui introduit des déformations dans les corps. Cette part d’imperfection participe à mon langage et m’éloigne de l’hyperréalisme pur.

L’humain est au centre de mon travail, et je peins les gens que je connais. Mes œuvres naissent de mes rencontres, de la beauté ou de l’énergie d’une personne qui m’inspire. Une scène s’impose à moi de manière intuitive, puis je demande à la personne de poser pour une séance photo. Le décor peut être imaginaire, mais la pose, les accessoires et les vêtements sont minutieusement choisis. Ce moment d’échange est essentiel : le modèle m’offre quelque chose de lui, et je me sens responsable de restituer cette grâce et cette sensibilité dans ma peinture.

Peux-tu nous parler de ta prochaine exposition ?

Ma prochaine exposition s’appelle Sous l’étoffe du monde et s’inspire en partie des shungas, ces estampes érotiques japonaises où des couples font l’amour dans des positions très imaginaires, entourés de tissus et d’étoffes. J’ai toujours été influencée par diverses iconographies du monde – africaines, indiennes, japonaises – mais je les transforme pour créer quelque chose d’inédit.

Dans cette série, il y aura plusieurs grands formats mettant en scène des couples. Les représentations restent suggestives : les corps sont entrelacés dans des postures chorégraphiques, avec des étoffes omniprésentes. Les décors rappellent parfois des ruines de bombardements.

Au départ, je n’avais pas analysé la raison de ce choix. Puis, en y réfléchissant, j’ai perçu un lien fort entre l’acte d’amour et la peinture. Faire l’amour n’est pas qu’un plaisir, c’est aussi une lutte contre notre impuissance face à la mort. De même, peindre est une façon de défier l’éphémère en créant une œuvre qui nous dépasse et nous survit.

Dans mes toiles, plusieurs niveaux de lecture coexistent. On y voit l’amour persistant malgré la guerre, mais aussi sa capacité à détruire. L’amour est une force créatrice, mais il peut aussi être une force destructrice.

Artiste : Nazanin Pouyandeh
Journaliste : Zoé Térouinard
Vidéaste : Ervin Chavanne

Exposition
Du 23 avril au 27 juin 2025

Galerie TEMPLON de Bruxelles
Rue Veydt 13A 1060 Bruxelles
Mardi – Samedi 11h – 18h