À Milan, et dans la mode italienne en général, on préfère souvent le « comment » au « quoi », le « bien fait » au « bien pensé », la façon à la conception. Cette saison ne déroge pas à la règle et propose un vestiaire élégant à défaut d’être révolutionnaire. Pour se distinguer, les maisons italiennes misent sur l’authenticité de leur storytelling, si toutefois cet oxymore a du sens. À chacun son style et son récit, histoire de ne pas confondre Siciliens et Piémontais, Lombards et Toscans, même si aux yeux des fans de K pop et consommateurs chinois de la gen Z désormais identifiés comme public cible à cajoler, ces subtilités identitaires ne sont au fond qu’une affaire de logos.
Chez Moschino où Adrian Appiolaza présentait sa première collection masculine, les nombreuses citations au fondateur de la marque et à son ironie 80s sont festives à souhait mais semblent s’entrechoquer par défaut d’une hiérarchie dans les trop nombreuses idées. Chez DSquared2, la température monte et nous rappelle que la marque fut l’une des premières, après Jean Paul Gaultier, à célébrer un hédonisme gay décomplexé. Leur homocore se décline pour l’été 2025 sur deux thématiques distinctes. Le bondage règne en majesté, avec pléthore de harnais, de mini-shorts lacés en cuir noir et des séparables réalisés en latex nude. L’iconographie du photographe Robert Mapplethorpe est dans tous les esprits, rappelant au passage que Ludovic de Saint Sernin n’a pas inventé grand-chose. La seconde partie du défilé est un hommage testostéroné au monde de la lutte -viva la lucha libre ! – avec la nécessaire flamboyance de cette discipline. Chez Dolce & Gabbana c’est la dolce…vita. Baptisée Italian Beauty, la collection évoque un été entre hommes du côté de Portofino ou sur la plage du Lido. La silhouette est athlétique et évoque tout à la fois la virilité des années 50 (les jerseys, les pantalons amphore, les shorts à taille haute, …) et la nonchalance des années 90 avec les chemises oversized en lin blanc et les vestes à peine structurées. Le raphia est omniprésent tout comme les grands pas de rayures, idéales pour un été chic et insouciant. À moins que le diabolique Tom Ripley ne soit de la partie. Chez Fendi, on ne cesse de réinventer les classiques et même de les subvertir. Faussement preppy, les garçons s’y parent de blasons, de polos et de mailles très Ivy Club qu’ils portent avec des vestes-capes, des manteaux légers en madras, des pantalons qui semblent afficher une double longueur, des pulls déboutonnés façon one shoulder et moult sacs aux piqures Selleria, une des grandes signatures de la maison. Une collection aux effets mesurés mais d’une grande intelligence, comme c’est souvent le cas avec Silvia Venturini Fendi qui prépare pour l’an prochain le centenaire de la griffe romaine. A l’opposé de ce luxe aux couleurs douces, le duo JORDANLUCA (le Britannique Jordan Bowen et l’Italien Luca Marchetto) assènent avec un incontestable brio leur humeur punk, conjuguant la sensualité de mailles près du corps à un tailoring post-moderne et à des accessoires imparables comme le sac Gotham, les bottes à talon (pour les deux sexes) et les ballerines ultrapointues. On connaît l’obsession de Raf Simons pour la jeunesse. L’été 2025 sera tout juste pubère chez Prada, avec une parfaite fusion de contraires : réalité et imaginaire, techno party et uniforme de bureau, rigueur et sexualité, une fois n’est pas coutume ! Miuccia Prada et le directeur artistique flamand ont opté pour une silhouette très identifiable : un pantalon plutôt ample à fourche basse tombant sur les hanches et embelli d’une ceinture de cuir en trompe l’œil porté avec un pull rétréci de couleur vive, laissant apparaître une treasure trail ou la naissance du sillon fessier. Les ballerines ornées d’une coque métallique et les derbies transformées en mules parachèvent avec précision ce portrait du twink version mode. Que ce soit pour la luxueuse Loewe ou pour sa griffe JW Anderson, l’Irlandais Jonathan Anderson a installé en une décennie une nouvelle référence lorsque l’on parle de mode conceptuelle. Un de ses talents, et non des moindres, est de transformer les idées les plus absconses en produits désirables. Pour l’été prochain, il propose une mode ludique, quasi régressive autour du cocooning : bombers en maille fluo XXL, sweats coussins, denimwear aux proportions confortables comme enfilé à la va-vite et, en point d’orgue, des pulls fait main aux motifs de façades anglaises. On l’aura bien compris : homme sweet home. On parle aussi d’un été idyllique chez Gucci, entre ville et plage, et nul ne pourra taxer le directeur artistique Sabato de Sarno de promouvoir une masculinité toxique. Au contraire, ses ragazzi ont la peau douce et la garde-robe précieuse « comme la mer qui lave tous les rivages sans préjugés »… en tous cas selon le communiqué de presse de la maison florentine. Sexy avec ses microshorts, balnéaire avec ses ballerines en mesh scuba, la collection démontre surtout un vrai talent de coloriste, sans doute acquis pendant ses années chez Valentino : rose dragée, lilas, et surtout un vert acide en passe de détrôner le rouge Ancora comme tonalité signature. Un vestiaire désirable mais dont l’identité reste encore à préciser.