×

LIA ROCHAS-PÀRIS, LE MONDE COMME PUZZLE

Par ZOE TEROUINARD

Alors qu’elle n’a que 17 ans, Lia Rochas-Pàris vit un traumatisme : celui de voir sa maison partir en fumée, emportant avec elle des souvenirs de papier. Pour tenter de reconnecter avec le réel, la jeune femme se réapproprie des images trouvées dans les magazines et autres ouvrages glanés au fil des pièces. D’abord thérapeutique, cette pratique devient rapidement artistique, permettant à Lia Rochas-Pàris de faire se rencontrer des éléments distincts, de créer un tout à partir du rien. Rencontre avec une artiste aux mille facettes qui a fait de son monde un puzzle à grande échelle.

Comment en es-tu arrivée à travailler le collage ?

C’est suite à un incendie qui est survenu chez mes parents. J’avais 17 ans à l’époque. J’avais pas mal d’angoisses après ça. Beaucoup d’archives avaient brûlé, dont du papier, et une étudiante de mon père qui vivait chez nous alors m’avait dit “Là, tu fais chier. Il faut absolument que tu te mettes à reconnecter avec la réalité. Il y a plein de magazines dans les toilettes. Tu les prends, tu déconstruis, tu reconstruis.” Donc au début, c’était vraiment sans aucune intention artistique ou créative, c’était juste pour me concentrer sur autre chose. Et j’ai continué dans cette voie. 

Comment es-tu passée d’une pratique thérapeutique à une pratique artistique ?

Je n’en avais absolument pas l’intention au départ, ce n’était pas réfléchi. Mon premier métier, c’était styliste photo. J’ai continué à faire des collages à côté, j’ai poursuivi mes études, mais elles étaient très théoriques, j’ai fait ‘esthétique de l’art’. Quand j’ai fait ce parcours à l’université, j’ai commencé à poser un autre regard sur ma pratique. Le collage a quand même une réputation d’être un médium “pauvre”, très accessible, ultrapopulaire, généralement très féminin, même s’il y a eu des hommes dans le surréalisme. C’est une pratique qui a été dénigrée pendant très longtemps dans le milieu de l’art. Le fait d’avoir fait de l’esthétique m’a permis de justifier ma pratique, de trouver une intention réelle et de l’assumer complètement.

Comment élabores-tu tes compositions ?

Il y a plusieurs étapes. Je chine énormément dans des vide-greniers, des marchés aux puces ou aux livres. La matière première, ce sont souvent des livres et des revues, parfois des photos. Ça pose la question du choix, du recto et du verso. En tant que collagiste, on n’est pas sûr de retrouver le même bouquin, le même magazine… Donc l’image qu’on choisit sera sans doute la seule et l’unique. Il y a donc toujours cette question de choix dans le processus. J’ai pas mal de boîtes chez moi, dans lesquelles je classe mes documents. J’arrache les pages et je les range par thème : antique, reptiliens, Voie lactée… Il y a toutes sortes de boîtes ! 

Et c’est quoi la boîte avec le thème le plus inattendu ?

Peut-être reptile… ou corps humain ? Ça peut faire un peu Dexter (rires). Mais dans le collage, c’est souvent un sujet. C’est étrange parce que toutes ces boîtes, c’est un peu comme plein de cases qu’on a dans notre tête, des images que l’on a enregistrées avec le temps. Quand je trouve certains éléments, parfois je me souviens d’autres éléments qui sont au fond d’une boîte et ça fait “tilt”. J’arrive à les assembler avec les autres, et, là, ça fait sens. Mais c’est tout de même une pratique un peu aléatoire et hasardeuse, le hasard fait complètement partie de la pratique du collage. 

Tu considères chaque ressource comme la pièce d’un puzzle. Comment parviens-tu à assembler chaque petit morceau pour créer une grande composition ?

Beaucoup de collagistes parlent d’ajustement dans le chaos. On collecte, on est face à une multitude d’images qui ne nous appartiennent pas, qu’on n’a pas créées, qu’on va déconstruire et qu’on va reconstruire. Quelque part, quand je parle de puzzle, c’est parce que je pense qu’on a tous plein de cases dans notre mémoire qui se réajustent avec le temps. Pour moi, tout est collage. Notre réflexion est un collage de tout ce qu’on aura entendu, tout ce qu’on aura lu. Et de la même manière, toute création est une forme de collage. 

Tu es artiste-collagiste, curatrice, directrice artistique, créatrice de romans-photos, tu as travaillé dans la mode… Comment chacune de tes activités impacte-t-elle ta création artistique ? 

Déjà, le roman-photo naît du collage entre le texte et l’image, il y a un dialogue entre les deux modes d’information. Quand je rencontre mes contemporains par ce biais, ça me permet de sortir de ma zone de confort, de partager, d’être dans un échange vertueux de l’ordre du débat qui permet d’aller plus loin dans sa propre réflexion. La plupart des artistes sont face à ça, et, pour moi, c’est plus que nécessaire, c’est vital de ne pas rester dans ma bulle. La partie curatoriale est aussi une manière de créer du lien. Dans ma pratique et plus largement dans ma vision de la vie, il y a toujours une manière de tisser des liens et de créer les uns avec les autres, d’être dans une énergie commune.

Artiste : Lia Rochas-Pàris
Journaliste : Zoé Térouinard
Vidéaste : Ervin Chavanne
Location : Dame Restaurant