Rue Pasteur, où s’élance, immuable, le Palais Miramar et où s’attrape au vol le meilleur samboussek fromage de la ville, délice crousti-fondant du Goût du Liban, un goéland dévorait hier sans vergogne aucune un pigeon. La scène vaut certainement allégorie, aussi facile celle-ci soit-elle à établir, tant la Croisette a été le témoin de multiples autres situations grotesques, évidemment teintées de lutte des classes, en ce troisième jour sur la Croisette. Ou sous, c’est selon. Car devant la plage Magnum, tôt dans la soirée, était déjà amassée une foule pimpée omax, agitant dans les airs de stellaires QR-codes avec l’espoir surréaliste que le vaisseau amiral les scanne depuis le lointain. « On doit passer, on a payé », pouvait-on entendre de bouches dont on ne croisait pas le regard, rivé déjà vers un accès privilégié au bar à Magnum, où les celebs se succèdent pour customiser leur glace sans jamais en faire craquer l’enveloppe. Une fois propulsés sans plus trop y croire sur cette plage à l’architecture tout en rondeurs, parfois inquiétantes de Willy Wonk-eries, les invités rincés par la pluie de l’orage ont attendu l’arrivée de Charli XCX en Vivienne Westwood, venue bratifier une soirée rivalisant avec la très privée fête MUBI, sise non loin sur la plage Cartel. Ondulaient sur la piste, en réponse aux propositions enlevées du DJ Fernando Gomez, Michael Cera, Molly Manning Walker, Alice Rohrwacher, Akinola Davies Jr. ou encore Zar Amir Ebrahimi, révélation des Nuits du Mashad (2022) et héroïne de LILI, jeu vidéo présenté au sein de la Compétition immersive du festival, entre sorcellerie et piratage informatique.
De son côté, la Sélection officielle a confirmé un bilan ophtalmo très encourageant, où les récits se livrent décidément droit dans les yeux. La misteriosa mirada del flamenco (Le Mystérieux regard du flamand rose)de Diego Céspedes, installe le regard dans un élégant format carré pour jamais ne le détourner, au diapason de la communauté queer qu’il dépeint dans le désert chilien des années 80. Atteintes d’un mal qui ne dit pas encore son nom, et que l’on croit transmis par un simple regard, justement, ses membres vivent d’amour, de bons mots et de performances flamboyantes données avec une émouvante grâce aux mineurs du coin mais surtout à elles-mêmes. « Je ne veux pas rester un secret », souffle Flamenco, maman trans, à sa fille Lidia dans une scène d’une infinie douceur qui donne toute sa trajectoire à ce premier film, en lice pour un prix au Certain Regard, à la Caméra d’or mais aussi à la Queer Palm. Dans la foulée se livrait le très attendu Dossier 137 de Dominik Moll, en Compétition, deux ans après la présentation du magistral La Nuit du 12 à Cannes Première. Une frappe venimeuse qui suit Stéphanie, enquêtrice de l’IGPN (soit la police des polices) plongée dans une affaire de tirs de LBD non autorisés sur un manifestant lors d’un rassemblent parisien des Gilets jaunes en 2018. Via son observation minutieuse, nourrie d’un extraordinaire travail sur ce que l’on fait des images, le film raconte, à hauteur de mère célibataire originaire de la Meuse tout autant qu’ancienne des Stups, l’urgence vertigineuse avec laquelle sont envoyés en première ligne des agents non formés au maintien de l’ordre, comme l’impunité écœurante amenée par la toute-puissance des syndicats de la police nationale. Ces deux réalités que Léa Drucker, exceptionnelle de nuances, fait co-exister n’enlèvent rien à la gronde du cinéaste, qui donne toute sa place à la victime et a laissé la salle Debussy les yeux grands ouverts, le cœur palpitant de rage et d’injustice. Et un « ACAB » sur nombre de lèvres.
Autre injustice criante qui voudrait qu’existe à Cannes une Palme Dog – saluant la meilleure cyno-performance avec, dans ses faits d’armes notables, la récompense remise à l’inoubliable Messi d’Anatomie d’une chute en 2023 – sans que les félins n’aient encore voix au chapitre. Aussi, peut-être Yaourt, l’immaculé chaton qu’adopte l’héroïne de Dossier 137 pourrait-il renverser la tendance, militant de son adorable patoune pour un trophée. Ou bien est-ce ici un seum à peine contenu qui s’exprime, notre chat ayant auditionné pour figurer dans le film, sans jamais recevoir de callback… Pas le time non plus, de notre côté, de rappeler quiconque proposerait de s’installer « tranquillement » à déjeuner en ville tant les réjouissances filmiques s’accumulent et la carence en sommeil, inévitable bâtard, s’installe en nous. La haine d’avoir loupé Sirât d’Olivier Laxe en Compétition, rave party en famille starring Sergi López et pas moins de deux chiens, déjà palmé par nombre de consœurs et confrères. Mais aujourd’hui est un autre banh-mi, et La petite dernière de Hafsia Herzi pourrait à nouveau redistribuer les étoiles dans le ciel de PACA.