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LES COBAYES DU MODERNISME

Par MATTHIAS DEBUREAUX

Il y a un près d’un siècle, le renouveau architectural des jardins zoologiques a introduit le modernisme en Grande-Bretagne. Durant des décennies, ces constructions utopiques ont fait la joie intense des jeunes visiteurs, mais rarement celle des animaux. 

Ça partait d’un bon sentiment. Au début des années 1930, le directeur du zoo de Londres, Peter Chalmers-Mitchell, s’inquiète de la santé délicate de Mok et Moina, le couple vedette de gorilles du Congo. Un jeune architecte d’origine russe et totalement inconnu est alors désigné pour concevoir l’abri des deux hominidés. Berthold Lubetkin, ancien assistant de l’artiste constructiviste El Lissitzky, a pérégriné dans toute l’Europe avant d’atterrir aux Beaux-Arts de Paris, puis dans l’atelier d’Auguste Perret. En 1932, installé à Londres depuis seulement un an, il va travailler avec le cabinet d’architecture moderniste Tecton Group pour concevoir l’enclos des gorilles. Mais également avec un chargé de recherche anatomique et le vétérinaire en chef du zoo. À cette époque, de nouvelles recherches zoologiques apportaient un éclairage nouveau sur les besoins et les modes de vie des animaux. La structure cylindrique du bâtiment d’avant-garde est divisée en deux moitiés : l’une en béton armé, peinte en blanc et climatisée en hiver, puis l’autre en plein air et composée d’une grille métallique tournante aussi ingénieuse que la porte d’une sanisette contemporaine. édifiée avant même que Lubetkin n’ait l’occasion de construire pour les humains, la maison des gorilles fut l’un des premiers bâtiments modernistes de Grande-Bretagne.

Des “présentoirs” à animaux

Deux ans plus tard, Lubetkin se voit confier la piscine des pingouins. Là encore, il se refuse à reproduire artificiellement l’environnement naturel des animaux et vise à transformer les enclos traditionnels en “présentoirs” animaliers. Les manchots vont ainsi hériter des dernières expérimentations formelles et fonctionnelles du style international. Ces deux spirales séparées et imbriquées en béton armé qui sont en porte-à-faux représentent une prouesse pour l’ingénieur Ove Arup. Cette interprétation libre et abstraite de l’Antarctique va ravir des générations de petits visiteurs, dont les jeunes princesses royales Elizabeth et Margaret. Le projet outrageusement photogénique vaudra une reconnaissance mondiale à l’architecte. Socialiste et militant, Lubetkin construit en nombre des logements pour la classe ouvrière – mais aussi des immeubles et villas de luxe – sans jamais délaisser la condition animale. Les -commandes viendront du zoo de Whipsnade ou de Dudley, un jardin zoologique entier de 3 000 animaux dans les environs de Birmingham. La pièce maîtresse est le ravin des ours polaires avec le sublime poste d’observation en porte-à-faux au-dessous la fosse.

 *Cet article est issu de notre numéro d’Automne 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*