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DÉCHARGE SPATIALE

Par CLOVIS GOUX — Illustrations Par NICO H. BRAUSCH

Situé au large des côtes chiliennes, le point Nemo est le pôle maritime le plus éloigné de toute surface émergée. C’est aussi un vaste cimetière qui recueille les restes de centaines de vaisseaux spatiaux.

En mathématiques, le problème du plus grand cercle vide consiste à trouver le plus vaste espace circulaire ne contenant aucun obstacle. Appliqué à la surface de la Terre, il sert à définir des pôles d’inaccessibilité maritime. 48° 52′ 31,748″ S, 123° 23′ 33,069″ O : telles sont les coordonnées calculées en 1992 par l’ingénieur yougoslave Hrvoje Lukatela du point le plus éloigné des terres émergées. Baptisé en hommage au très mis-anthrope capitaine du Nautilus créé par Jules Verne pour les besoins de Vingt mille lieues sous les mers, le point Nemo doit également son patronyme au fameux épisode de l’Odyssée d’Homère au cours duquel Ulysse pour échapper au cyclope qui l’interroge sur son identité répond : “Mon nom est Personne.” (“Personne” étant la traduction du latin nemo.) No go zone située au cœur du Pacifique sud, les territoires les plus proches du point Nemo sont l’atoll de Durcie, habité par des crabes, et l’îlot rocheux de Motu, livré aux mouettes, tous deux situés à 2 688 kilomètres. Pour trouver le premier être humain, il faut embarquer de Motu à l’île de Pâques (soit à 1 kilomètre de distance), où de virils cavaliers Rapa Nui bardés de tatouages ethniques -chevauchent à cru de sauvages étalons au pied des monumentales Moaï. 

Perdu au large de l’Antarctique, de la Nouvelle-Zélande, du Chili et des îles Piticairn (où se refugièrent en leur temps les mutins du Bounty en compagnie de splendides vahinés), le point Nemo est donc, avec sa faune et sa flore misérables, son trafic aérien et maritime nul, ce qui s’approche le plus du néant ou pour emprunter une formule imagée du “trou du cul du monde”. Lors des compétitions de voile, seuls les skippers passent par ce passage obligé avec une certaine appréhension : la météo y est d’ordinaire épouvantable. Un compétiteur du Vendée Globe se souvient : “Un brouillard à couper au couteau. Une mer plate. On n’y voyait pas à 200 mètres. Il fallait se battre pour que l’humidité ne rentre pas trop dans le bateau.”

 *Cet article est issu de notre numéro d’Automne 2024. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*