×

FEMMES DE GOÛT

Par LAURENT DOMBROWICZ

Créatrices de mode : les badass sont de retour

On reconnaît volontiers aux femmes, de toutes époques et de toutes générations, d’avoir fait avancer la mode à grands pas. Que ce soient les pionnières de la haute couture française comme Coco Chanel, Madeleine Vionnet, Madame Grès et Elsa Schiaparelli, les agitatrices anglaises comme Mary Quant, Vivienne Westwood et Katharine Hamnett ou les auteures comme Rei Kawakubo (Comme des Garçons), Miuccia Prada, Ann Demeulemeester, Chitose Abe (Sacai) ou Mary-Kate et Ashley Olsen (The Row), toutes ont conquis leurs lauriers en pensant « autrement ». On leur a souvent prêté l’intelligence de leur sexe grâce à l’effet miroir qu’elles ont entretenu avec leur clientèle. Selon certain(e)s, comment un homme surtout s’il est dans le fantasme gay d’une über-femme, peut-il imaginer la garde-robe dont elles ont réellement besoin ou envie ? Cette dimension réaliste est celle qui a fait exploser les ventes chez Dior sous la houlette de Maria-Grazia Chiuri, qui a assis la réputation de Victoria Beckham et qui apporte beaucoup d’espoir chez Chloé avec Chemena Kamali au poste de directrice artistique. 

À l’heure du girl power, la nouvelle génération semble prête à se défaire d’une féminité trop rassurante et à bousculer la notion du goût jusque dans ses derniers retranchements. Le joli, très peu pour elles. Le consensuel, encore moins ! Pour plaire, il faut aussi savoir déplaire. À l’heure ou l’image-choc est reine, cette démarche disruptive fait sens lorsqu’elle est authentique. 

Constante, rebelle et individualiste, l’anglo-turque Dilara Findikloglu l’est assurément. Fidèle à son mantra less in never more, elle développe une esthétique maximaliste depuis 2016 où les nombreuses citations historiques côtoient une théâtralité échevelée qui a d’emblée séduit de nombreuses célébrités. Pour sa première saison, elle dénonce le conservatisme de sa Turquie natale avec sa collection Dante’s Islamic Inferno. À plusieurs reprises, elle ose les silhouettes antéchrist ce qui ne l’empêche nullement d’être demi-finaliste au prix LVMH en 2017. Pour l’hiver 2023/2024, elle réalise une robe ornée de couteaux victoriens rappelant l’armure de Jeanne d’Arc, portée par le top-modèle Mariacarla Boscono dans une campagne publicitaire photographiée par Jordan Hemingway. 

CITIZENK KAPPAUF ARTICLE DIGITAL LAURENT DOMBROWICZ FEMMES DE GOUT CREATRICES DE MODE BADASS AVAVAV DILARA FINDIKOGLU ELENA VELEZ MONIQUE FEI NAMILIA

Le talent de la Suédoise Beate Klarsson s’est révélé durant la pandémie de COVID avec des chaussures « monstrueuses » qui ont envahi la toile…et les journées canapé. C’est également en 2020 qu’elle prend la direction artistique du jeune label florentin AVAVAV. Au menu, une mode à la fois portable et déjantée mais surtout un cynisme à toute épreuve lorsqu’il s’agit de concevoir un défilé. Les mannequins qui chutent sur le podium, les vêtements qui tombent en lambeaux déchirés par un fil invisible, un runway jonché de déchets, rien n’est trop (délicieusement) trash pour la créatrice. Au point d’organiser son propre entartement à l’issue du dernier défilé et de faire courir sa récente collaboration avec Adidas sur la piste d’un stade milanais.

CITIZENK KAPPAUF ARTICLE DIGITAL LAURENT DOMBROWICZ FEMMES DE GOUT CREATRICES DE MODE BADASS AVAVAV DILARA FINDIKOGLU ELENA VELEZ MONIQUE FEI NAMILIA

Elena Velez, native du Wisconsin, est une fille « qui en a ». Le mindful & demure que la mode américaine tend à sacraliser, c’est exactement le contraire de ce qu’elle propose depuis 2021 à savoir une relecture cash du style Midwest avec, en prime, un fort engagement sociétal. Pour l’été 2025, sa collection baptisée « La Pucelle » – en français et avec deux majuscules- rend elle aussi hommage à Jeanne d’Arc, icône d’un féminisme radical. Elle lui adjoint d’autres figures emblématiques comme la Marianne révolutionnaire, la statue de la Liberté ou une Miss America pas vraiment dans les normes du genre. Son défilé étant sponsorisé par la plateforme OnlyFans, spécialisée dans le contenu pour adultes, on se dit que tout n’est pas perdu de l’autre côté de l’Atlantique. 

CITIZENK KAPPAUF ARTICLE DIGITAL LAURENT DOMBROWICZ FEMMES DE GOUT CREATRICES DE MODE BADASS AVAVAV DILARA FINDIKOGLU ELENA VELEZ MONIQUE FEI NAMILIA

Monique Fei, qui partage sa vie entre Paris et Londres, a également choisi de ruer dans les brancards avec des présentations qui tiennent plus du happening que du défilé traditionnel. Experte du latex, elle imagine un garage hardcore pour son été 2025 judicieusement intitulé Monique Fuel. La Nantaise, qui n’a froid ni aux yeux ni ailleurs, explore avec brio les possibilités d’un matériau au-delà du sempiternel catsuit. Avec le mannequin Lily McMenamy et l’acteur X François Sagat au casting, faire le plein prenait enfin tout son sens. 

CITIZENK KAPPAUF ARTICLE DIGITAL LAURENT DOMBROWICZ FEMMES DE GOUT CREATRICES DE MODE BADASS AVAVAV DILARA FINDIKOGLU ELENA VELEZ MONIQUE FEI NAMILIA

En solo ou en duos mixtes (comme au sein du label berlinois Namilia),, les it-girls de la mode ne sont donc pas celles que l’on croit. Puissantes et drôles, elles agitent les certitudes là où ça fait mal. Et donc du bien.