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Hublot Spirit of Big Bang Sang Bleu King Gold Pavé

ENSEMBLE C’EST TOUT

Par YANNICK NARDIN

En horlogerie, rien de plus crispant que la notion de collaboration. Car, lorsque le génie s’en mêle, les grands esprits se méfient toujours de leur (chapardeur de) voisin. Pourtant, historiquement, les montres naissent d’un effort commun. Aujourd’hui, cette notion
de “collectif” prend une ampleur méritée.

En matière de montres, les expertises ont toujours dû se compléter, parfois entre voisins très proches, sur le pas de la porte. Dans le Jura franco-suisse, au cœur de l’hiver, les premiers paysans-horlogers se divisaient déjà le travail selon la tradition de l’établissage. De même, les cabinotiers genevois du xviiie siècle combinaient leurs ­savoir-faire au service de chefs-d’œuvre au rayonnement international. Plus tard, dès les années 1930, les marques et fournisseurs ont joué la carte du regroupement, notamment au sein de la Société suisse pour l’industrie horlogère (SSIH), future Swatch Group – un mouvement d’intégration poursuivi par les grands groupes de luxe et manufactures.

Pourtant, la notion de “collectif” n’est pas innée dans l’art de la mesure du temps. “Les cabinotiers n’étaient jamais crédités pour leur travail. Seule la marque bénéficiait de l’aura générée par les produits, et non les artisans”, précise Maximilian Büsser, fondateur de MB&F. Traditionnellement, les noms des mains les plus habiles et des meilleurs fournisseurs ont longtemps été tus, cultivant une

part de mystère et un soupçon d’attitude revêche. Par peur de la concurrence, par crainte de laisser s’échapper la paternité d’une invention. Ainsi, le fait de dévoiler quels talents ont collaboré à une montre tient quasi de la révolution ! Précurseur, Maximilian Büsser, osait, déjà en 2005, le “Friends” dans le nom de sa marque, porté par l’envie de mettre en lumière les acteurs impliqués. “Je voulais faire passer le message que nous ne travaillerions qu’avec des personnes partageant nos valeurs ; je n’ai pas trouvé mieux que ‘Friends’ ! Beaucoup m’ont alors reproché ce nom ‘ridicule’ : on ne pouvait pas l’intégrer dans une marque de haute horlogerie. Mais, en anglais, ne dit-on pas ‘Success makes you sexy’ ? Car, dix ans plus tard, tout le monde nous félicite pour ce nom”, sourit-il.

À l’AHCI : le poids des poids plume

L’époque, avec notamment des échanges d’information facilités grâce au web et à la digitalisation, a contribué à changer de paradigme. “Aujourd’hui, il n’existe plus vraiment de secrets, tout finit par se savoir”, explique David Candaux, fondateur de la marque du même nom et membre de l’AHCI (Académie horlogère des créateurs indépendants). “Les nouvelles générations en sont conscientes, ce qui instaure une réelle dynamique de partage, bien plus décontractée, dans notre groupe”, poursuit-il. Si les indépendants ont aujourd’hui le vent en poupe, leur statut a pourtant toujours été précaire. “Pour prendre notre place, quoi de mieux que de nous réunir, à l’international ?” expliquait Svend Andersen, co-fondateur de l’académie et lauréat du Prix spécial du jury lors de la cérémonie du Grand Prix de l’Horlogerie de Genève 2023. Quarante ans après la fondation de l’AHCI, en 1985, la recette a décidément pris, amplifiée par l’arrivée progressive de jeunes pousses, la “crème de la crème”, triée sur le volet grâce à de stricts critères. “Nous joignons nos forces afin d’exposer lors d’événements majeurs, dans l’optique de maximiser la force commerciale, ce qui était déjà le propos de l’académie à ses débuts. Pourtant, maintenant, la notion de collectif va bien au-delà. Nous partageons nos expériences, réalisons parfois des commandes groupées – une démarche impensable à l’époque. Les horlogers indépendants faisaient figure de poids plume et devaient se protéger contre le vol de propriété intellectuelle ou, tout simplement, de bonnes idées”, poursuit David Candaux.

Sur les ailes de la collab

Dans l’air du temps, l’esprit collectif a supplanté le mythe du talentueux loup solitaire et permis au potentiel des cocréations de s’exprimer. Né de la mode, le phénomène a commencé il y a une vingtaine d’années, symbolisée par le succès foudroyant d’une collection capsule entre Karl Lagerfeld et H&M. Au fil du temps, la tendance a conquis le monde, dont l’horlogerie. Car ses acteurs majeurs – marques, médias et détaillants – l’ont bien vu : en matière de collabs, il y a tout à gagner. Ainsi le “x” caractéristique de l’exercice s’est répandu comme une traînée de poudre, porté par son redoutable pouvoir : celui de dédoubler la désirabilité, d’octroyer un supplément de rareté propulsée par une notoriété au carré. Ainsi, les marques se sont mises à solliciter des artistes, comme Hublot, à l’origine d’éditions limitées “Takashi Murakami” ou “Sang Bleu”. Les collaborations ont aussi germé au sein de la communauté horlogère. L’incontournable blog new yorkais Hodinkee a ajouté des cordes à son arc avec la possibilité d’acquérir des pièces certified pre-owned, mais aussi des montres nées d’associations stratégiques. Soutenu par l’extraordinaire fréquentation de son média et par sa capacité à intégrer les montres dans une proposition de style, Ben Clymer, le fondateur, s’est retrouvé en position d’offrir aux marques un supplément de coolitude et de visibilité. En retour, ces grands noms ont renforcé sa crédibilité. Pour l’occasion, Zenith, Omega – qui est allée jusqu’à créer une édition limitée de la célébrissime Speedmaster pour célébrer les 10 ans du blog –, Laurent Ferrier, TAG Heuer ou encore Hermès ont produit des séries spéciales. Au fil des années, l’éventail s’est élargi, couvrant désormais autant les maisons haut de gamme traditionnelles comme Vacheron Constantin – avec Historiques Cornes de Vache 1955 Limited Edition for Hodinkee –, que Swatch, avec la Sistem51 Hodinkee Generation 1990. Par la grâce de la collab, ce blog à succès a ainsi réussi un grand écart fort périlleux pour un détaillant classique. 

 

*Cet article est issu de notre numéro de Printemps 2024. Pour le lire dans son intégralité, vous pouvez vous procurer votre exemplaire en kiosque ou sur le site. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*