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Alain Robert escaladant le Paramount Building à New York sur Times Square en 1994

DU BOUT DES DOIGTS

Par ALEXANDRE PAUL DEMETRIUS

Figure mythique de l’escalade sans corde et sans attache, Alain Robert se raconte dans un nouveau livre. Et pourtant, celui qui pratique le solo intégral depuis cinquante ans et que l’Amérique surnomme Spiderman n’a toujours pas la Légion d’honneur.

CitizenK Homme : Qu’est-ce qui vous pousse toujours à affronter les sommets ?

Alain Robert : Vers l ’âge de 5 ou 6 ans, j’étais terrifié par l’idée de la mort, du vide et de la chute. Je craignais presque mon ombre. J’avais donc le rêve de devenir courageux, comme Zorro, Robin des Bois ou D’Artagnan. Et puis j’ai vu La Neige en deuil, un film tiré d’un roman d’Henri Troyat, l’histoire d’un avion qui s’écrase au sommet du mont Blanc et de deux frères guides de haute montagne très courageux, dont l’un interprété par Spencer Tracy. Ce film à changé ma vision de la vie : en un claquement de doigt, je ne voulais plus être Zorro ou Robin des Bois, mais l’un de ces deux frères qui gravissaient la montagne. Un jour, à l’âge de 11 ans, je suis rentré chez moi plus tôt, car des professeurs étaient absents. Comme j’habitais au 7e étage d’un bâtiment résidentiel avec balcons, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains en grimpant jusqu’à chez moi. C’est là que mon aventure a vraiment commencé.

Pourquoi avez-vous choisi très tôt le solo intégral ?

Cela incarnait pour moi l’escalade la plus belle et la plus pure. Mon idée de base étant la bravoure et le danger, l’escalade ne pouvait donc être qu’en solo, et pas aseptisée ou encordée. Alex Honnold considère que les voies difficiles sont extrêmement aléatoires. Au sujet de Pol Pot, dans le Verdon, que j’ai gravi en 1996, Alex disait : “Même si tu y vas 100 fois avec une corde, le jour où tu la fais sans attache, c’est un peu comme si tu jetais les dés.”Il a vraiment pris toute la mesure de ce que je fais en solo. À chaque fois que j’escaladais, c’était donc une forme de roulette russe. Ça a duré pendant six ou sept ans puis, quand j’ai eu l’opportunité d’escalader des buildings, j’ai fait mes adieux à l’escalade extrême en solo sur falaise.

Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer aux buildings ?

À la base, c’était une demande commerciale, et puis cela m’a plu, car d’un seul coup j’ai été amené à découvrir un nouvel horizon. Il faut dire que j’étais quand même allé au bout de tout ce que je pouvais faire en solo sur des rochers. J’avais manqué de me tuer 250 fois. J’ai découvert que les buildings étaient un terrain de jeu intéressant. Les escalades étaient beaucoup moins aléatoires, même si elles pouvaient être parfois très physiques. Avec juste de la force musculaire, on pouvait faire des choses extraordinaires. Il y a trente ans, j’ai grimpé des buildings extrêmement difficiles, que je ne pourrais pas refaire aujourd’hui. Chez les grimpeurs solos de mon niveau, personne n’a réussi à répéter des ascensions que j’ai pu faire. Il y a seulement une poignée de gamins, qui sont mes potes d’ailleurs, qui escaladent des buildings de niveau moyen à difficile. Mais les ascensions les plus ardues, ils savent qu’ils ne les feront jamais.

*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*