La captivante odyssée architecturale des bowlings américains a enfin son grand livre. Ces brillantes architectures méconnues ont réveillé le bord des autoroutes avec des formes d’une audace folle. Anatomie d’une obsession qui a balayé la nation.
L’historien de l’architecture Alan Hess qualifia un jour les colossales enseignes au néon signalant les bowlings de “bijoux urbains”. Au début des années 1960, des centaines de ces palais de quilles aux formes stellaires ont surgi sur le bord des autoroutes reliant les nouvelles villes de banlieue américaines. Ces bâtiments fantaisistes et luxuriants lorgnant l’ère spatiale pour attirer l’attention des automobilistes sont restés sous le nom d’architecture googie. “Mais ce style n’est pas du kitsch, clame Alan Hess, c’est une expression du modernisme aussi sérieuse que le style international ou le néo-formalisme.” Deux amoureux des bow-lings, Chris Nichols et Adriene Biondo, viennent justement de consacrer le livre majeur Bowlarama, digne de l’histoire des cathédrales, à cette architecture du milieu du xxe siècle. Ces luxueux palais de plaisir engagèrent une véritable surenchère de styles futuristes, de mobilier ultra rem-bouré, de nouvelles chaussures plastifiées et de chemises de jersey en fibre miracle, de boules haute performance et de fabuleuses machines à lubrifier les pistes.
En 1939, un professeur d’égyptologie britannique a trouvé un ensemble complet d’accessoires de bowling dans la tombe d’un enfant datant de 5200 avant J.-C. L’année de cette découverte, ce sport n’est encore pratiqué que par des hommes turbulents et blancs. Et,jusqu’en 1940, les femmes n’avaient pas accès aux salles de bowling. L’essor de la discipline sera bientôt marqué par l’invention du requilleur automatique, le système permettant de remettre en place les quilles. Auparavant, cette opération était assurée par des bras humains, un travail dangereux et cause de fractures en raison des clients nerveux qui visaient parfois les quilles durant cette tâche. En 1947, la Maison Blanche installe une piste de bowling où, posant pour la photo, chaque président pourra se rapprocher des Américains or-dinaires. En avril 1959, la bombe blonde Jayne Mansfield inaugure le Cotton Bowling Palace de Dallas avec le strike le plus sexy de l’histoire… mais aussi le plus truqué: un fil invisible reliait les quilles !
*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*