Ils sont créateurs de contenus, chanteurs, danseurs… Tous Français, ils puisent leurs origines au Maghreb, au Sénégal ou au Vietnam et utilisent cette double identité pour nourrir leur créativité. Rencontre avec cette nouvelle génération qui fait de cette mixité culturelle l’essence même de son art.
“Le noyau principal de ma création, c’est ma double culture franco-algérienne.” Influenceur, mannequin et chanteur, Vogue by Malek s’essaie à tout, toujours avec succès. Son fil conducteur ? L’alliance de ses deux cultures, lui qui est né à Paris mais a grandi à Alger. Arrivé en France pour la seconde fois à l’âge de 18 ans, Malek n’a jamais oublié ses racines, qu’il revendique aussi bien dans son single Slay Paname que dans ses différentes collaborations mode sur les réseaux sociaux. « Je trouve que ces deux cultures sont très riches, la culture occidentale et la culture maghrébine. Et je m’y réfère beaucoup, que ce soit dans la musique, la manière de m’habiller ou ma création de contenu… Mes origines algériennes me poussent et m’inspirent. »
Originaire du même pays, la cheffe Marjane Bouazdi partage cette vision. « Mes origines influencent énormément mes créations, puisque je propose une cuisine inspirée de la cuisine algérienne. » Qu’il s’agisse d’un plat traditionnel revisité ou d’une saveur particulière, l’Afrique du Nord habite les plats servis par Marjane lors de dîners privés. « Ces inspirations sont totalement conscientes, confie la fondatrice des Petites Tables. Je dirais même qu’il y a une forme de revendication, là où la cuisine, comme toute forme d’art, reste un moyen d’expression. » Longtemps dissimulée, la double identité s’assume aujourd’hui plus que jamais et devient, au-delà d’une fierté, un vecteur de créativité.
Un retour aux sources pour mieux se retrouver
L’artiste transdisciplinaire franco-sénégalais Yaz Sané utilise lui aussi tout ce que ses voyages entre ses deux pays lui ont appris pour nourrir sa création. Plus encore, il avoue que ces inspirations sont un moyen pour lui d’effectuer une « recherche sur lui-même ». « J’ai grandi à un très jeune âge entre le Sénégal et la France. J’ai souvent eu la sensation de ne pas savoir comment appréhender mon identité, de me sentir exilé, peu importe où je me trouvais. Ce sujet de l’exil est très présent notamment dans mes textes », nous confie celui qui associe poésie et danse dans sa pratique. Cependant, là où Marjane Bouazdi admet insuffler délibérément un peu de ses origines dans ses créations, Yaz Sané se montre plus mesuré. « Je dirais que, pour l’instant, l’hommage que je rends à mon pays est implicite, voire inconscient. Je n’ai jamais osé écrire directement sur celui-ci, peut-être parce que cela pourrait être particulièrement douloureux. »
Mais n’est-ce pas de la douleur que naissent certaines des plus belles œuvres ? Si ce constat est un peu triste, la quête identitaire reste un sujet largement exploré dans la création contemporaine. Presque comme une thérapie. Adoptée à l’âge de trois mois par une famille française, la créatrice de mode Téva Sartori avoue puiser son inspiration dans ses origines, qu’elle connaît finalement très peu. « L’Asie et le Vietnam ont toujours été des sources d’inspiration. C’est parfois loin, peu visible, mais c’est toujours le point de départ. Je suis retournée une fois au Vietnam en 2019, et ça a enrichi mes inspirations. Mais je n’ai pas cette impression de rendre hommage, juste d’explorer le pays, la culture, les traditions de là d’où je viens. »
Être un modèle
Une individualité longtemps réprimée, pour coller aux codes du marché, peut-être. Pour se dissimuler dans la société, sûrement. Heureusement, ce temps est révolu. « Il est essentiel pour le public d’avoir des exemples inspirants issus de la diaspora dans le milieu créatif, car cela ouvre de nouvelles perspectives sur notre identité partagée », rappelle Malek, qui aurait « adoré avoir un modèle comme lui » plus jeune, auquel s’identifier.
Marjane Bouazdi, elle, l’avoue : « Moi, je n’étais pas forcément fière d’être algérienne quand j’étais plus jeune. » Pour la cheffe, avoir des modèles qui lui ressemblent lui permet de renouer avec la « fierté d’être issue de cette diaspora, de son appartenance, de ses origines. » Yaz Sané partage ce sentiment : « Hier, lors d’un bord plateau, des lycéens nous ont demandé nos origines, et plusieurs d’entre eux m’ont fait de grands sourires quand je leur ai dit que j’étais franco-sénégalais. »
Téva Sartori nuance : « Avoir des modèles peut aider, mais il faut savoir prendre du recul. On n’a pas tous la même chose à dire, à raconter. » Retenons alors une chose : si nous n’avons pas tous la même histoire, n’attendons pas que l’on nous tende un micro pour la raconter. Exprimons-la à travers l’art, la danse, la mode, la cuisine. Avec tous ses pans et toute sa richesse.