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VALEUR-SENTIMENTALE_Renate-Reinsve_Inga-Ibsdotter-Lilleaas_©-Kasper-Tuxen

AU SECOURS À WOKEBACK MOUNTAIN 

Par LAURA PERTUY

Un jour, déjà lointain (lundi), au bas d’une file last minute où l’on promenait notre habituelle gaité – certes parfois pilonnée par un seum 3000 –, une spectatrice nous a lancé : « Vous vraiment, vous êtes good vibes ». Depuis, galvanisée par cette projection certes erronée mais somme toute flatteuse sur notre personne, il nous paraît plus ardu de glisser vers la mauvaise humeur en public. Aussi s’enjoindra-t-on à la gratitude pour évoquer la projection de The History of Sound d’Oliver Hermanus, 18 000e film en Compétition de cette 78eédition du festival. Car comment ne pas se sentir bénie des dieux quand, en plus de découvrir, l’oreille émerveillée, tout l’héritage musical folklorique du Maine des années 20, on peut assurer easy ses trois rounds de yoga du visage quotidiens, plongée dans l’obscurité d’une salle conquise ? Et par-dessus le mercato se fendre de tartines écrites à son dentiste et à sa proprio, le téléphone caché sous la serpillère qui nous sert de chandail. Plus sérieusement, car on parle ici d’une séance se tenant à l’heure du dîner – pleine d’un enjeu vital, donc –, pourquoi contraindre deux des acteurs britanniques les plus fichtrement brillants de leur génération à se délester de leur sublime accent et, bien pire, oublier de les mettre en scène, puis sertir le film d’inserts Shutterstock à peine d’époque ? Dommage parce qu’en plus d’une dentition étrangement parfaite pour le début de siècle dernier, Josh (H)O(T)’Connor et ce grand sang de Paul Mescal font montre d’une alchimie dont on n’avait jamais douté et – est-ce rageant ? Si peu – d’un talent inouï pour le chant. Ils seraient passé en fin de projo officielle poser un 16 à la soirée des Filles Désir, ambiance treize organisée sur la Plage Cartel, que ça nous aurait pas étonnée. 

Mais, l’œil encore vaillant, malgré une monture de lunettes butée au sébum et azy les confrères qui s’ouvrent des Kro en séance, direction le reste de la Compet’ pour se faire un peu fleurir le cœur. D’abord avec Romería, le troisième long de l’Espagnole Carla Simón (Nos soleils, 2022), où une jeune femme enquête sur la vie de ses parents, disparus alors qu’elle était encore enfant, auprès d’un pan de sa famille qu’elle n’a jamais rencontré et au creux d’une région, la Galice, qui lui est inconnue. Ce récit autobiographique, qui fait joli usage de différents régimes d’images pour dire une quête de souvenirs vitale, sidère par ses plans d’une mélancolie folle. Hop, on échange rapido une invit’ pour la fête de clôture la Semaine contre un balcon en Grand Théâtre Lumière, et on reprend un coup d’eau à l’apparition de Renate Reinsve sur le tapis rouge – en Louise Vuitton, dans notre couleur pref’ (voir au jour 8) – puis à l’écran, dans Sentimental Value. À quoi bon, pour se détendre en salle de presse, s’injecter dans les oreilles les nappes entières de dépression mélomane que Sigur Rós se décarcassent à composer si Joachim Trier vient tout bazarder, quelques heures plus tard, avec son ultra-spleen ? Au vu de la salve d’invectives nourries à l’attention d’une spectatrice absorbée par l’écran de son téléphone dès le générique, l’euphémisme voudrait qu’on considère ce 6e film du Norvégien comme peu attendu. Variation hypra-sensible sur la relation érodée entre une comédienne – Renate Reinsve, révélée dans Julie (en 12 chapitres) du même Trier en 2021 – et son réalisateur de père, pas spécialement woke et même un peu broke, le film prend la maison de famille comme catalyseur de liens distendus. L’acteur suédois Stellan Skarsgård s’offre un rôle sur la brèche, en un amusant clin d’œil à son aura plutôt américaine – il sollicite dans le film Elle Fanning pour camper le scénario qu’il a écrit pour sa fille fâchée – et un retour à ses terres natales à la faveur de ce personnage déclinant.

Voilà pour nos good vibes qui résistent, sachez-le, à la symphonie discordante de nos collègues journalos qui tapent sur leur clavier comme des dératés sans assurance aucune que ça rende leur papier plus percutant. On vient quand même de demander à notre queen de la salle de presse de on-lui-en-prie-le-ciel-et-les-étoilesbaisser le son de la télé où Raphaël Quenard dégouline de crétineries à propos du film qu’il présente à Cannes Classics, la sélection dédiée aux films de répertoire où il n’a absolument rien à faire. Et, dans tout ça, toujours pas de Cat Palme pour nous remettre de bon poil. (Pardon).