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Illustration, QUENTIN FAUCOMPRÉ

ANATOMIE DU DÉGOÛT

Par ÉMILIE LAYSTARY Illustration, QUENTIN FAUCOMPRÉ

Certains mets ou breuvages répulsifs requièrent un lent et long apprentissage pour être apprivoisés. Au risque de figurer à vie sur la liste noire de nos envies.


De quoi le mauvais goût est-il le nom ? Disons-le tout de suite : le mauvais goût, c’est toujours celui des autres. Le kitsch, le moche, le surfait, le disgracieux, l’écoeurant. Ainsi, le fromage corse aux asticots, le casu marzu, soulève le coeur des palais novices quand les aspics, ces entrées enfermées dans des gelées, très à la mode dans les années 1970, nous semblent affreusement désuètes. C’est simple : au fond, le bon goût nous semble toujours être le nôtre, celui de notre époque, celui de nos critères, celui qu’on affirme détenir avec fierté, mais surtout avec aplomb.

CHEVAL DE TROIE CULINAIRE

Pour Pierre Bourdieu, parler du goût revient immanquablement à évoquer le dégoût. Le sociologue estime en effet que le goût n’est qu’affaire de distinction sociale : nos préférences culturelles sont avant tout des outils nous permettant de nous positionner par rapport aux autres dans l’espace social. L’alimentation est l’un de ces outils. Apprécier à sa juste valeur un bon millésime, s’afficher en président capable de déguster un ortolan la tête sous une serviette, ou, pour prendre un exemple fleurant autre chose que la Ve République, savoir apprécier la texture caoutchouteuse des billes de tapioca d’un bubble tea sont autant d’exemples de manières de faire communauté à travers le goût. “Dis-moi ce qui te dégoûte, je te dirai qui tu es”, aurait-on envie d’énoncer.

Il reste que certains aliments ne s’apprécient qu’au terme d’un lent et long apprentissage, à coup d’expositions fréquentes et de cheval de Troie culinaire. Prenons pour exemple la bière, le café ou encore les fromages affinés : aussi différents soient-ils, ces mets ont en commun d’être rarement appréciables du premier coup. Apprendre à les aimer fait généralement partie d’un processus d’habituation, au fil du temps, pour devenir grand, pour imiter les autres, pour partager des moments de sociabilité… En d’autres termes, leurs goûts s’apprivoisent !

*Cet article est issu de notre numéro d’Hiver 2024-2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*