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Zone heuro: l’Europe des montres

Par HERVÉ GALLET

La Suisse n’est pas le seul pays à fabriquer des montres. En Europe, plusieurs nations comptent de nombreuses maisons horlogères. Petit tour d’Europe du temps. 

On dit parfois de l’Allemagne qu’elle est « l’autre pays de l’horlogerie ». C’est d’ailleurs à Nuremberg qu’aurait été fabriquée la première montre de l’histoire, par un certain Peter Henlein, en 1504. Mais si on dresse une carte européenne des garde-temps, on découvre très vite que la plupart de nos voisins, sans oublier la France, disposent de marques à leurs couleurs, dont la réputation et la distribution, il est vrai, ne dépassent pas toujours les frontières nationales. Par exemple, sait-on qu’il existe 80 marques horlogères allemandes, mais aussi 40 italiennes et 90 espagnoles ? Certes, il s’agit souvent de maisons liées à l’univers de la mode et du lifestyle ne boxant pas dans la même catégorie que les manufactures à l’ancienne, mais cela offre un large choix à un public avide d’heures locales. Orologi italiani avec Panerai, Anonimo, Fendi, Valentino, Roberto Cavalli, Buccellati, Moschino… Relojes espanoles avec Festina, Kronos, Viceroy, Lotus, Pita Barcelona, Radiant, Marea ou encore Franc Vila.

Franchir le Rhin nous envoie au pays de Glashütte Original, Nomos, Sinn, MeisterSinger, Kudoke, Hanhart, Bruno Söhnle, Moritz Grossmann, Mühle, Tutima, Union, Wempe, Stowa, Junghans et d’un véritable fleuron de la haute horlogerie : A. Lange & Söhne. Beaucoup de collectionneurs voient en cette marque l’une des plus belles signatures mondiales en raison de sa qualité de fabrication et du soin extrême porté aux finitions. Non seulement cette manufacture installée depuis 1845 non loin de Dresde, dans l’est du pays, affiche sa nationalité sur son cadran avec la formule « made in Germany » mais elle va encore plus loin en indiquant sa région natale : I/SA, traduisez « en Saxe ».

Cette fierté géo-localisée s’inscrit dans la tendance et d’autres marques signent leur origine, à l’image de Français Jacques Bianchi qui a choisi de mentionner « Marseille » sur le cadran de sa JB 200. Difficile en effet de faire plus méridional que cet horloger octogénaire dont l’atelier donne sur le Vieux-Port. Quant à LIP, sa fierté d’être implantée dans le Doubs, berceau de la montre made in France, transparaît par le biais de la signature « Besançon ». 

En Italie, Bvlgari a donné le nom de sa ville natale à sa collection Octo Roma. Et l’une des plus célèbres icônes horlogères, siglée TAG Heuer, évoque un lieu géographique bien connu : Monaco. En 1969, alors qu’il cherchait comment baptiser son nouveau chronographe automatique de forme carré, le choix initial de Jack Heuer s’était porté sur Monte-Carlo. « Mais c’était déjà pris, alors j’ai opté pour Monaco », raconte-t-il. Quant à Franck Muller, sa montre Mykonos permet de rendre hommage à la Grèce et au dieu antique du temps, Chronos.

C’est un pays qu’IWC rend hommage par l’intermédiaire de sa Portugieser. Une gamme ainsi baptisée en hommage à deux négociants portugais qui, dans les années 30, avaient sollicité la marque suisse pour créer un modèle dédié à leurs compatriotes navigateurs-explorateurs des siècles précédents. Marque aujourd’hui helvétique mais née aux États-Unis, Hamilton voit large en dédicaçant son modèle American Classic Pan Europ Day Date Auto à l’Europe dans son ensemble. 

Hublot célèbre aussi l’Europe, mais d’une manière aussi particulière que sportive. La maison haut de gamme est en effet partenaire de l’UEFA, l’organisme en charge du football européen. La montre officielle du dernier Euro permet notamment aux supporters de choisir un bracelet aux couleurs de leur pays. 

Chez Vacheron Constantin, autre nom incontournable de la haute, très haute, horlogerie, le lien avec un pays d’Europe s’exprime dans un autre registre, celui des métiers d’art. Un collectionneur dont la nationalité reste secrète a passé commande d’une pièce unique. Cette montre de poche dispose d’un couvercle orné de la reproduction en émail du tableau La Jeune Fille à la perle du peintre néerlandais Johannes Vermeer. 

Jaeger-LeCoultre a fait appel à ces métiers rares (émail grand feu, peinture miniature et guillochage) pour créer trois séries limitées de dix Reverso dont le dos du boîtier pivotant est dédié à trois œuvres d’artistes européens célèbres : Vue du Lac Léman, du Français Gustave Courbet, Portrait d’une dame, de l’Autrichien Gustav Klimt et Coucher de soleil à Montmajour, du Hollandais Vincent van Gogh.

Restons en terre batave avec une maison peu connue du grand public appréciée des connaisseurs. Grönefeld, lancée par deux frères, Bart et Tim, en 2008, conçoit des montres techniquement et esthétiquement remarquables. Leur première création fut tout simplement une répétition minutes tourbillon ! Par la suite, ils ont fait du principe de la seconde morte une véritable signature, de même que le style sobre de leurs cadrans contrastant avec des fonds très travaillés. L’observateur attentif saura déceler une inscription figurant tout en bas : « The Netherlands ».

Peter et Aletta Stas possèdent le même passeport que les Grönefeld mais ont utilisé les prénoms de la grand-mère d’Aletta et du grand-père de Peter pour baptiser la marque qu’ils ont fondée en 1988, Frédérique Constant. Passée en 2016 dans le giron du groupe japonais Citizen, elle vient de lancer un modèle dédié au voyage, comme pour rappeler son parcours multiculturel. 

Remontons encore un peu vers le nord du continent européen pour évoquer des marques horlogères danoises (Urban Jürgensen, Svend Andersen, toutes deux d’un niveau remarquable, ou encore Bering et Skagen, très accessibles), et suédoises avec Hygge et surtout GoS. Cette dernière, établie à Linköping, dans le sud du pays, est née de la collaboration entre un maître forgeron-coutelier, Johan Gustafsson, et un horloger, Patrick Sjögren. La scandinave GoS cultive l’esprit viking, comme l’a démontré la nouvelle collection Norrsken (« aurore boréale » en suédois) présentée en mars dernier dans le cadre du Grand Prix d’horlogerie de Genève.

Arrêtons-nous à présent en Finlande, d’où est originaire l’un des meilleurs horlogers du monde : Kari Voutilainen. Signalons simplement que cet artiste discret mais au regard malicieux, formé à l’école d’horlogerie de Tapiola, à l’ouest d’Helsinki, a obtenu de nombreuses récompenses internationales dont le très convoité prix Gaïa, véritable prix Nobel de l’horlogerie, décroché en 2014. Désormais installé en Suisse, il ne réalise chaque année que quelques dizaines de pièces destinées à une clientèle très avertie. Derrière leur forme ronde d’apparence classique et la grande sobriété des cadrans se dissimule une recherche absolue de la perfection technique. Voutilainen ne mentinnesur ses montres ni son pays d’origine, ni sa terre d’adoption, mais tient à souligner l’univers dans lequel il s’exprime : « hand made ». Du grand art venu du grand Nord…

En remettant cap au sud, on notera au passage l’existence de maisons belges pleines d’intérêt, à l’image de Ressence ou de Raidillon, sans oublier de mentionner que la marque Ice-Watch est native du plat pays qui est le sien. 

De retour en France, effectuer un petit tour de la place Vendôme conduit tout droit chez la très suisse manufacture Chopard. Malgré ses origines helvétiques, la marque déclare son amour pour l’Italie au travers de sa montre Mille Miglia, dédiée à une course automobile mythique disputée sur trois jours entre Brescia et Rome, aller et retour, sur un parcours d’environ 1600 km (soit 100 miles). Le dernier opus de cette collection repousse encore les frontières pour prendre la direction de l’Angleterre qui n’appartient plus à l’Europe comme chacun le sait. Mais « Brexit » rime avec « excite », et c’est l’iconoclaste « préparateur horloger » britannique George Bamford qui a reçu la mission de personnaliser à sa manière la Mille Miglia. La série limitée de 33 exemplaires née de ses réflexions se différencie nettement du style des modèles antérieurs, avec son boîtier en acier DLC (diamond-like carbon) microbillé d’un noir profond, un cadran gris foncé et des touches de couleur orange. Richard Mille établit lui aussi un lien entre la course automobile et un lieu géographique avec sa RM 029 Le Mans Classic.

Enfin, impossible de parler voyage à travers l’Europe (et même le monde entier) sans évoquer la Tambour Horizon Monogram Eclipse signée Louis Vuitton. Non seulement la longue liste de ses fonctionnalités comprend l’application LV City Guide (véritable guide touristique au poignet), mais en plus elle indique à volonté l’heure dans les pays de son choix. Une bonne manière d’achever de façon spectaculaire cette petite balade « heuropéenne ».