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The Red Kiss - The Store © The Anonymous Project

The Anonymous Project, la seconde vie des photographies oubliées

Par Justine Sebbag

The Anonymous Project est l’œuvre du réalisateur Lee Shulman, qui entreprend de collecter des photographies anonymes perdues, oubliées ou abandonnées au fil du temps. Cette archive fascinante révèle un aspect mémoriel surprenant et transporte les spectateurs dans un voyage à travers le temps. Dans le cadre de notre rubrique Karte Blanche, Lee Shulman nous ouvre les portes de son projet atypique et partage sa passion pour la redécouverte de trésors cachés du passé. Laissez-vous transporter dans l’univers nostalgique de The Anonymous Project, une expérience esthétique riche qui saura enchanter les curieux et les amateurs de l’ère mid-century.

Citizen K : Qui se cache derrière The Anonymous Project ? 

Lee Shulman (The Anonymous Project) : Ce sont des petites diapositives qui se cachent derrière (rires) ! 

Citizen K : Comment est né le projet ? Quelle a été votre inspiration ?

Lee Shulman : À l’origine je suis réalisateur, c’est un projet que j’ai lancé en 2017 lorsque j’ai commencé à collectionner des diapositives par curiosité mais aussi parce que les soirées diapo en famille ont marqué ma jeunesse. 

Citizen K : En quoi est-il important d’archiver ces photos anonymes du passé ? 

Lee Shulman : Ce qui est essentiel pour moi, c’est l’aspect émotionnel des photographies. Immortaliser les anniversaires, les vacances, les moments de partage, de vie de famille – ça peut paraître banal mais c’est ce qui semble le plus important. 

Citizen K : Comment choisissez-vous les photos à inclure dans votre collection ? Y a-t-il une méthode ou un critère particulier ?

Lee Shulman : Je choisis vraiment au feeling et sur le moment. Les gens ont tendance à regarder la caméra quand ils sont pris en photo et il y a certaines images où on a l’impression qu’ils nous regardent. Quand je regarde une image et que je ressens une connexion avec elle, c’est assez immédiat surtout s’il y a une histoire, une émotion qui se dégage ou que ça me donne des frissons (rires). 

Citizen K : Quel est votre message principal avec The Anonymous Project ? Qu’espérez-vous que les gens en retirent ?

Lee Shulman : The Anonymous Project porte un message d’inclusivité. Ce projet rassemble parce que les gens font partie de l’œuvre. C’est aussi un projet infini car on va continuer à prendre en photo nos amis, nos familles, nos amours. 

Citizen K : Le projet a voyagé à travers le monde. Selon leur culture, avez-vous remarqué des différences dans la façon dont les gens interagissent avec les photos ? 

Lee Shulman : L’émotion dépasse les cultures, et c’est ça qui est beau finalement. C’est quelque chose d’assez universel que tout le monde partage. 

Citizen K : Pouvez-vous nous parler d’une photographie qui vous a particulièrement marquée, et pourquoi ?

Lee Shulman : Ça change tous les jours (rires) ! Une des photos que j’aime énormément est celle de deux femmes sur un canapé, on ne sait pas si elles regardent la télévision ou si elles réagissent à une blague. Elles boivent une bière, fument une cigarette, et elles rigolent à gorges déployées. C’est un vrai moment de lâcher prise que l’on voit rarement en photographie. C’est d’ailleurs ce que j’adore dans la photo, pouvoir assister à des moments “hors-cadre” d’intimité et de partage. 

Citizen K : Quelles sont les photos les plus précieuses que vous ayez jamais trouvées, et pourquoi sont-elles si spéciales pour vous ?

Lee Shulman : Récemment, mes parents ont retrouvé des diapositives chez eux et comme ce sont des petits formats, je les ai scannées pour mieux les voir. Ce sont les photos du jour de l’annonce de leur mariage. Ils étaient encore très jeunes, plus jeunes que moi (rires) et c’est assez fou de découvrir ça aujourd’hui parce que je ne les avais jamais vus avant. Autrement, les photos qui me touchent sont celles des gens photographiés en train de dormir. Il y a quelque chose de magique là-dedans parce que c’est un moment où l’on s’abandonne complètement, où l’on est vraiment nous-mêmes, il n’y a pas l’aspect factice du jeu face à l’objectif. Puis il y a un côté un peu morbide aussi, avec les yeux fermés on pourrait croire que certaines personnes sont mortes mais finalement c’est beaucoup plus poétique. 

Citizen K : Si vous pouviez remonter dans le temps et photographier un événement historique, lequel serait-ce et pourquoi ?

Lee Shulman : Je me souviens que mon père était très mauvais photographe, il m’a montré les photos qu’il a prises quand j’étais jeune et elles sont tellement mauvaises ! Alors, j’aimerais bien reprendre les photos de mon enfance (rires). Sinon, je suis assez fan du design et de la mode des années 1950, les photos de cette époque sont magiques ! Les gens sont beaux, j’adore leurs styles. D’ailleurs une grande partie du public de The Anonymous Project est sensible à l’esthétique mid-century qui ressort souvent dans la collection. Puis c’est drôle parce qu’on a l’habitude de voir des images des années 1940, 1950 ou 1960 en noir et blanc alors que là, elles sont en Kodachrome (nom de la pellicule Kodak caractérisée par des couleurs vives et saturées, NDLR). C’est un rendu haute définition trente ans avant la haute définition (rires). Au début, les gens pensaient que je retouchais les photos mais elles sont juste très colorées, des vêtements aux maisons en passant par les papiers peints. 

Citizen K : Comment s’est déroulée votre collaboration avec Martin Parr ? Comment vous êtes-vous rencontrés et qu’est-ce qui vous a poussé à travailler ensemble ?

Lee Shulman : Quand j’ai exposé à Arles en 2019, nous avons construit une maison avec un chef décorateur, qui était habitée par des images. J’ai eu la chance de rencontrer Martin Parr là-bas, qui était l’un de mes héros quand j’étais plus jeune. Dans ma collection, je savais qu’il y avait des photos qui me rappelaient son travail. J’ai fait un assemblage de photographies de ma collection et de l’œuvre de Martin Parr que j’ai partagé avec lui puis il m’a envoyé un mail qui disait simplement « YES ». 

Citizen K : Envisagez-vous de collaborer avec d’autres artistes prochainement ? 

Lee Shulman : Oui, je travaille en ce moment avec un très bon copain qui s’appelle Omar Victor Diop. C’est un photographe africain aux côtés de qui j’ai régulièrement la chance d’exposer et cette fois-ci, on a décidé de collaborer à travers un livre qui va sortir d’ici la fin de l’année. 

Citizen K : Que prévoyez-vous pour l’avenir de The Anonymous Project ? 

Lee Shulman : On a la chance d’avoir beaucoup de projets devant nous et notamment beaucoup d’expositions. On va voyager un petit peu partout en France, bientôt à Aix-en-Provence. Notre prochaine exposition aura lieu à la FIAF (l’Alliance Française, NDLR.) de New-York. En fait, ce n’est pas vraiment moi qui prévois des choses pour l’avenir du projet mais le projet qui prévoit des choses pour moi (rires) !