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© Fred Gervais

Lucas Bravo, sous un nouveau jour  

Par Joséphine Roney

Mannequin, vigile ou magasinier, le comédien originaire de la French Riviera a eu mille vies avant de devenir celui qui incarne le charme à la française outre-Atlantique. Pour CITIZEN K, Lucas Bravo se confie sur certaines d’entre elles. 

Il nous reçoit un après-midi de janvier, très ensoleillé, dans son nouvel appartement parisien, premier investissement et preuve tangible du tournant majeur de sa carrière. La verdure y est luxuriante, sans doute parce qu’il y a encore peu de mobilier, hormis un bar, un canapé et un purificateur d’air. L’ambiance est pour le moins feng shui, une bougie et de la musique jazz, il se dit très sensible aux énergies. Une figurine de Jeffrey Lebowski est juchée sur quelques livres. Il n’y a qu’une seule photo dans son salon, elle représente son père, Daniel Bravo, au début des années 1980, de dos, sous le maillot numéro 7 de l’OGC Nice. Ancien champion de France de football en 1994 avec le Paris Saint-Germain, il était surnommé le “petit prince”. Au bout du couloir, une pièce dont il ignore encore la fonction est subitement traversée d’un halo de lumière qu’il n’avait visiblement pas soupçonné, il interrompt notre conversation : ce sera son bureau ! De caractère très contemplatif, voire oisif, il est étourdi par les tournages et le rythme effréné des derniers mois mais la période est enfin à l’accalmie, l’occasion de réaliser ce qu’il vient de vivre et se préparer à ce qui arrive.

Au-delà des apparences qui portent à croire que Lucas aurait été “propulsé” par enchantement sur le devant de la scène grâce à son rôle phare de chef cuisinier, au cœur d’un triangle amoureux, dans la série à succès Emily in Paris, il est primordial de rappeler que ceci est avant tout le résultat de nombreuses années de travail. Biberonné aux voyages au gré des transferts de son père dès le plus jeune âge, il part conquérir les États-Unis avant même d’être majeur. Il suit des cours d’art dramatique à Los Angeles, vit de petits boulots, se nourrit principalement de Taco Bell et y devient bilingue. De retour en France, en 2010, Lucas commence à enchaîner les castings, apparaît dans des publicités et s’efforce de repousser les chasseurs de tête de téléréalité, très attirés par sa gueule d’ange et son patronyme. Il décroche en 2013 son premier rôle dans le feuilleton Sous le soleil de Saint-Tropez, puis s’essaie au cinéma grâce à Kim Chapiron dans La Crème de la crème. C’est en 2017 qu’il intègre l’Actors Factory qu’il décrit comme un cocon bienveillant qui lui a permis de “se trouver” et où il a adoré s’exercer. Particulièrement axé sur les expériences incitant au lâcher-prise, c’est une aubaine pour lui, souffrant du syndrome de l’imposteur et constamment dans le contrôle. Puisque tout vient à point à qui sait attendre, c’est à la sortie de cette formation que Lucas est retenu pour interpréter le rôle de Gabriel, boy next door par excellence, dans Emily in Paris, nouvelle production Netflix de Darren Star, à l’origine de séries telles que Beverly Hills 90210, Melrose Place ou encore Sex and the City. Bien que le New York Times Magazine en déplore la vacuité, et de nombreux autres le manque de réalisme, force est de constater que cette série s’avère être un véritable phénomène de pop culture, se hissant en quelques heures sur le podium des fictions les plus regardées de la plateforme à chaque saison.

Lucas est extrêmement reconnaissant de cette mise en lumière qui lui a ouvert beaucoup de portes et lui permet aujourd’hui de partager l’affiche avec des monstres sacrés comme Julia Roberts, Isabelle Huppert ou bien George Clooney. D’après son expérience, les acteurs les plus réputés ne sont pas nécessairement les plus inaccessibles, il s’est même aperçu du contraire lors de ces quelques semaines de tournage en Australie entouré de Julia Roberts et George Clooney : “Ils ont conscience d’être intimidants, ce qui les pousse à faire en sorte que leurs partenaires soient le plus à l’aise possible, George me faisait beaucoup de blagues avant chaque prise par exemple.” Plus surprenant encore, il lui aurait envoyé un mail lors du montage du film Ticket to Paradise pour le féliciter de sa performance. Ils ont depuis gardé d’excellents rapports, à tel point que Lucas l’a présenté à ses parents dans le Sud de la France. C’est d’ailleurs lors de ce tournage qu’il s’est découvert un certain talent dans le registre comique.

Sous ses airs de gendre idéal, le comédien à qui on donnerait le bon dieu sans confession s’avère plus torturé qu’on ne l’imagine. Souvent sujet à l’angoisse, il trouve dans le cinéma une dimension quasi thérapeutique, au sens propre lors de ses séances chez sa psychologue qui lui suggère d’imaginer les étapes de sa vie telles des scènes d’un film, comme au sens figuré lorsqu’il attribue ses blessures aux personnages qu’il interprète afin de s’en séparer. “Le cinéma m’aide à me défaire de certains traits de caractère qui m’empoisonnent la vie, je confie mes failles à mes rôles, espérant leur laisser une fois le tournage terminé.” C’est le cas pour André Fauvel par exemple, son rôle dans Une robe pour Mrs. Harris qui apparaît comme un timide maladif, davantage à cause d’Eva Bravo (la mère du comédien, ex-chanteuse et animatrice de télévision en Italie) que d’un choix artistique du réalisateur britannique Anthony Fabian. En effet, féministe engagée dans une époque qui s’y prêtait moins qu’aujourd’hui, Eva Bravo a éduqué ses enfants à travers une vive hostilité, pour ne pas dire une haine, vis-à-vis des hommes. “Ça a été un vrai frein socialement, j’ai longtemps été mal à l’aise pour aborder les autres, les filles en particulier, de peur d’être trop insistant, de déranger, on le constatait jusqu’à ma façon de m’asseoir, toujours recroquevillé.”

De ce fait, Lucas n’est pas du genre à trop s’épancher sur sa vie privée ou à vouloir attirer l’attention, il n’apprécie pas particulièrement de recevoir du monde. Il privilégie les tête-à-tête aux grandes réunions, considérant que l’identité se perd rapidement au contact du groupe, qui prend le dessus et nous pousse à donner une autre image de nous. D’ailleurs, il a souvent beaucoup de mal à se souvenir des noms. “Le comble pour un acteur, je n’ai aucune mémoire, ou très sélective et très joueuse surtout, je peux lire un script une fois et m’en souvenir directement, mais ne jamais parvenir à mémoriser les noms.” Pour s’épargner ces contrariétés, il parle à ses plantes et leur consacre du temps, il met même en place un rituel précis, tous les lundis. Son purificateur d’air est d’ailleurs pensé pour elles et sa réputation d’expert en botanique n’est plus à faire auprès de ses proches. “Chaque fois que l’un de mes amis a une plante en piteux état, il me la confie, je me charge de la remettre sur pieds et la lui rend en pleine forme !”

Concernant son rapport à la notoriété, à laquelle il a été confronté dès l’enfance aux côtés de ses parents, il n’en garde pas de mauvais souvenirs : “Je n’avais pas tellement l’impression que mon père était célèbre, on l’arrêtait dans la rue, on lui demandait comment il voyait la saison se dérouler mais personne ne se jetait sur lui.” Malheureusement, bien entraîné ou non, le comédien essuie encore pour l’instant les plâtres de la notoriété, rarement accompagnée d’un mode d’emploi. Il se confie sur cette peur de décevoir qui persiste, qu’il décrit comme une sorte de cercle vicieux, car “lorsqu’on est relativement discret comme moi, il est évident que l’on ne peut pas correspondre en tous points à l’image renvoyée par les rôles, celle que le public s’imagine”, le même public qui l’interpelle dans la rue le nommant simplement “Emily in Paris !”. Il s’en amuse mais lorsqu’il s’agit d’être naturel au contact de passants ou face à des journalistes, il a toujours peur de ne pas être à la hauteur des attentes établies et du stéréotype du parisien qui lui colle à la peau. Bien qu’il déconstruise peu à peu cette étiquette en créant la surprise comme au dernier défilé Louis Gabriel Nouchi où il est apparu grimé en Patrick Bateman (jeune cadre dynamique et tueur en série à ses heures) ou en s’associant à la militante écologiste Camille Étienne contre l’exploitation minière en eaux profondes. Ce qu’il trouve finalement le plus regrettable avec la notoriété, c’est le tabou autour de la solitude que l’on rencontre en étant “sous le feu des projecteurs” : “Sous prétexte d’avoir réussi, il n’est possible d’apporter aucune nuance à ce prétendu bonheur constant sans passer pour un snob ou faire preuve d’ingratitude. On oublie que le métier d’acteur demeure un métier comme les autres et qu’il est possible de connaître des moments compliqués même en étant célèbre.” Malgré tout, Lucas semble avoir trouvé sa voie et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. “J’ai beaucoup aimé faire du divertissement et vendre du rêve, mais j’ai désormais envie de raconter des histoires” : celui qui confie rêver de tourner avec Xavier Dolan, entre autres, semble bien parti pour prouver qu’il a plus à offrir que sa french touch.