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Affiche japonaise pour le film Tetsuo.

Tetsuo, mythe moderne cyberpunk

Par JEAN-EMMANUEL DELUXE

Au crépuscule des années 1980, en annonçant la nouvelle vague cyberpunk, Tetsuo : The Iron Man, sera le plus culte des films cultes. Autopsie d’un mythe moderne.

À l’origine, en 1986, on découvre Shinya Tsukamoto, un jeune obsessionnel nippon fasciné par le cinéma underground, notamment les  films futuristes italiens. Influencé par le Blade Runner de Ridley Scott et le Videodrome de David Cronenberg, il se lance sans moyens dans la réalisation du court métrage Futsu Size No Kaijin (Un Fantôme de taille normale). Le film raconte déjà la lente transformation d’un homme en machine de guerre. Le projet, basé sur des animations image par image, aspire six mois de la vie du jeune homme mais sera assassiné par la critique à cause du manque d’attention donnée aux détails. Piqué au vif, il s’acharne donc à la réalisation de Tetsuo. “Là, je me suis donc concentré sur les détails au détriment du scénario”, concède le réalisateur. Il est vrai qu’au visionnage la chose peut décontenancer. Entre deux scènes choc en noir et blanc saturé, on comprend tout de même qu’un salaryman à lunettes se transforme en machine de fer à la suite d’une rencontre avec un homme qu’il laisse pour mort après l’avoir percuté en automobile. La contamination mécanique et franchement sexuelle, avec l’intrusion de formes métalliques façon perceuses, s’achève en apocalypse Tokoyoïte. Très vite, le film sera adoubé par William Gibson, pape du roman cyberpunk, qui y voit le premier long métrage de la mouvance qu’il a instiguée. Quentin Tarantino rêve d’en réaliser un remake et Jan Kounen s’en inspire pour son court métrage, Vibroboy. Et pourtant, rien n’était joué d’avance. 

UN PUBLIC MARGINAL

Shinya Tsukamoto fut un paria qui, au fil du tournage, se retrouva seul à achever son premier long métrage. Son équipe, faute de rémunération, l’avait abandonné. C’est criblé de dettes et viré du domicile familial qu’il voit l’impensable survenir. Contre toute attente, son film jouit d’un énorme succès critique et décroche le grand Prix du Festival fantastique de Rome. Mais c’est en tant que midnight movie que Tetsuo va devenir l’objet d’un culte mondial ; les midnight movies étant ces films inclassables que les exploitants de salles casaient le samedi soir à minuit afin d’attirer un public marginal. C’est ainsi que les films El Topo de Jodorowsky (lui aussi fan du Japonais fou), Eraserhead de David Lynch ou encore The Rocky Horror Picture Show commencèrent à creuser leur sillon avant de devenir des sujets de dévotion absolue. Pour Tetsuo, la contagion débuta par les salles d’art et d’essai. En France, ce fut Jean-Pierre Dionnet (le créateur de Métal hurlant), qui imposa cet ovni filmique : “On a souvent comparé Tsukamoto à David Lynch et Cronenberg, en mettant en parallèle leurs descriptions cliniques d’un humain mutant devenu à moitié robot. Mais alors que Lynch et Cronenberg regardent ce qui se passe avec peur, on sent que Tsukamoto est du côté de l’homme modifié, du mutant ; il pense que, dans notre monde terne, il vaut mieux devenir un androïde, un homme machine, pour exister à nouveau pleinement”. En effet, à l’instar d’un pénitent nazareno lors de la Semaine Sainte à Séville, Tsukamoto ne conçoit la rédemption vis-à-vis de l’inertie du Japon contemporain – qui ne l’intéresse guère – que par la douleur. Sur sa lancée, le Japonais réalisera Tetsuo II : Body Hammer en 1992, où la structure familiale mute et implose, puis en 2009, Tetsuo : The Bullet Man. Une manière de développer le mythe et perpétuer ses obsessions avec un peu plus de moyens, mais toujours avec la même rigueur.