Après des années de relatif immobilisme, les maisons italiennes renouvellent leur direction artistique.
De l’autre côté des Alpes, on n’a jamais été très enclin à parier sur la génération montante. La mode italienne est par tradition une affaire de famille ou de fabricants qui préfèrent opérer dans la continuité. Le savoir-faire plutôt que le « quoi faire », le produit avant l’idée.
Pour se faire une place au soleil sur la place de Milan, mieux vaut avoir le cursus calme d’un assistant acharné dans l’ombre d’un grand nom qu’une véritable identité créative. Mais cette spécificité italienne semble avoir vécu, tant le renouveau de ces dernières saisons est manifeste. L’exemple de Diesel est éloquent. En deux saisons, le Belge Glenn Martens a transformé la marque à peine fréquentable en un must-have absolu, tout en respectant ses fondamentaux. Certes, un tel miracle n’arrive pas tous les jours et toutes les marques n’aspirent pas à une telle (r)évolution. La naissance même d’une griffe dans une ville marquée à jamais par le succès planétaire de Giorgio Armani ne va pas de soi. Armani, Gucci et Dolce & Gabbana (même si l’origine géographique de ces deux dernières n’est pas milanaise) ont d’ailleurs toutes établi des programmes destinés à mettre en lumière de nouveaux talents, en finançant tout ou partie de leur défilé. Valentino crée également des partenariats avec des créateurs émergeants dont la médiatisation est un pari gagnant-gagnant. En cinq ans, le nombre de nouveaux venus dans le calendrier des défilés et présentations dépasse de loin celui des deux décennies précédentes cumulées. Il était temps ! Citons la formidable Act N°1, le label fondé par Galib Gassanoff et Luca Lin, qui nourrit de son multiculturalisme une mode italienne qui a souvent pêché par consanguinité.
On raffole également du sexy sophistiqué d’Andrea Adamo pour sa griffe Andreadamo, qui connaît un succès spectaculaire auprès des acheteurs internationaux. Quant à GCDS, la marque street hyper brandée fondée par les frères Giuliano et Giordano Calza, elle est devenue un must-have planétaire, évoquant quarante ans plus tard les succès irrévérencieux de Franco Moschino. Inutile de rappeler que ces ascensions fulgurantes doivent beaucoup aux réseaux sociaux et aux célébrités qui font et défont rapidement les carrières, court-circuitant la filière traditionnelle des revendeurs multimarques et des grands magasins qui jouent désormais les seconds rôles, voire une figuration muette. C’est ce qui a poussé bon nombre de maisons dites classiques à changer de directeur artistique depuis trois saisons. Chez Trussardi, l’institutionnelle au lévrier tombée en désuétude depuis plusieurs années, Serhat Isik et Benjamin Alexander Huseby- duo créatif du label berlinois GmbH- proposent un vestiaire à la fois violent et sensuel, à l’opposé de l’image un peu ronronnante de peaussier de luxe. Osé mais risqué. On se souvient du grand écart opéré par Céline en nommant Phoebe Philo en 2008. Ce type de volte-face créatif n’est toutefois possible qu’avec quelques best-sellers réédités et de très lourds investissements, ce qui n’est pas (encore) le cas chez Trussardi. On peut se poser la même question, avec des enjeux sensiblement différents pour Salvatore Ferragamo (qui vient de perdre son prénom), où Maximilian Davis vient de présenter sa première collection en comité réduit. Toutes les cases sont cochées (jeune, black, Anglo-Saxon) pour récolter les faveurs des médias et la collection ne manque ni de cachet ni d’élégance. Mais cette forme d’abstraction hors sol, même si elle cite le passé hollywoodien de Ferragamo, et la démarche élitiste cool n’est pas forcément gage de succès, surtout lorsque la famille actionnaire veille toujours au grain et attend des résultats immédiats. Famiglia ti amo e ti oddio (famille, je t’aime et je te hais) ! Kean et Veronica Etro ont justement confié les rênes créatives à Marco de Vincenzo, le sympathique quadra vu dans l’ombre de Silvia Fendi pendant plusieurs saisons. Il est vrai que la marque que l’on associe aux motifs cachemire, à l’orientalisme et au velours dévoré avait besoin d’être dépoussiérée. Etro gagne donc en jeunesse ce qu’elle perd en opulence. On peut légitimement s’interroger sur une énième revisite du style Y2K, à grand renfort de crop tops, brassières et chaussures compensées, surtout lorsqu’une autre italienne, à savoir Blumarine sous la houlette de Nicola Brognano, exploite parfaitement le créneau. Chez la très mainstream Benetton, l’enjeu créatif est immense car nécessaire dans le flux d’images fortes que la mode internationale produit chaque saison. Andrea Incontri (ex-Tod’s), qui vient d’y faire ses premiers pas de directeur artistique, n’est pas vraiment un perdreau de l’année. Mais en succédant à Jean-Charles de Castelbajac, il représente tout de même un saut de génération. Sous le slogan « Be everything », il signe une première collection plus fun et moins genrée, supposée renouer avec l’engouement coloré du Benetton des années 80. Car oui, en Italie, on regarde souvent vers le passé pour écrire l’avenir.