Pour prolonger le mois des fiertés, CitizenK a rencontré Quentin Fromont, artiste pluridisciplinaire qui propose un nouveau récit queer. Loin des clichés, Quentin offre une pratique de l’intime, à la foi immersive et poétique, dans laquelle le spectateur est pris à parti, mais toujours avec douceur. Une façon subtile de faire passer des messages qui passe par le texte, la fiction et la narration. Entre rêve et réalité, Quentin Fromont pense l’expérience spectateur, sans jamais brader ses sujets de prédilection ni tomber dans la facilité d’une histoire de l’art encore trop définie par son male gaze et ses stéréotypes de genre et de sexualité.
Tu touches à la peinture, à la photo, à l’installation… Est-ce que tu peux me parler du choix de la pluridisciplinarité ?
J’ai commencé la pratique plutôt par la photographie, puis j’ai élargi vers des images plus variées : la vidéo, la récupération d’images sur Internet… Ce que je fais, ce n’est pas vraiment de la peinture. Ce sont des processus d’impression : je travaille avec des papiers sur lesquels l’encre ne sèche pas. Ça me permet d’imprimer des images, puis de rejouer avec des encres, des liquides, de l’eau, de la salive, etc.
Dans ma pratique, je trouve ça intéressant de ne pas travailler uniquement avec de l’image. J’aime étendre ça au texte, à l’installation, pour créer des projets plus complets, dans lesquels on peut déambuler, et où la narration peut être prise de différentes manières.
Pour toi, le sentiment d’immersion, c’est quelque chose d’important ?
Oui, je trouve ça important, parce que tout mon travail repose sur la création de mondes imaginaires dans lesquels je crée des fictions. C’est souvent un protagoniste qui tente de fuir la réalité. Ces mondes abordent des questions autour de la vulnérabilité du corps, de la maladie, de la sexualité…
J’aime créer des espaces avec de grandes images dans lesquels on peut vraiment s’immerger, des paysages, mais aussi parfois des formats plus petits, moins immersifs. Je trouve ça important qu’on puisse entrer dans cet imaginaire.
Tu parles du corps, de la sexualité… Le sujet queer a une grande importance dans certaines de tes œuvres. Est-ce que c’est primordial pour toi de mettre ces sujets au premier plan dans l’art ?
Oui, étant homosexuel, et ma pratique parlant aussi d’intimité, je trouvais important de mettre en commun des récits queer. De pointer aussi certaines choses plus ou moins violentes : les agressions sexuelles, le désir, le fantasme, des sexualités subversives…
J’ai beaucoup travaillé sur des espaces de cruising – des lieux à ciel ouvert comme des parkings, des forêts, des plages – où la sexualité est beaucoup plus libre. C’est lié à la drague homosexuelle.
J’ai commencé à parler de queer à travers ces espaces-là, puis j’ai élargi à d’autres sujets. Je trouve ça très important de mettre en lumière des amours pluriels, pas forcément hétéronormés.
Tu parlais d’intimité… Quelles sont tes autres sources d’inspiration, et comment cette notion d’intimité se traduit-elle dans ton art ?
Ça passe beaucoup par le texte. Il y a de longues phases d’écriture dans mon travail : je crée des fictions à partir d’événements qui me sont arrivés ou qui sont arrivés à des proches. C’est une porte d’entrée assez intime.
Ensuite, je commence à récupérer des images sur Internet, dans la pornographie, ou à partir de mes propres photos. Je construis comme ça un environnement où se télescopent des images intimes et d’autres plus violentes, ce qui crée une narration.
Ta création est très plurielle. Est-ce que tu peux essayer de nous dessiner ton processus de travail, même si j’imagine qu’il change selon les projets ?
Oui, il y a toujours une phase de lecture et d’écriture. Je suis très inspiré par la littérature, donc j’écris beaucoup au début.
Une fois que j’ai posé le récit, je commence à travailler les images, à faire de la veille sur Internet, à récupérer pas mal d’images issues du porno, que je mélange ensuite avec les miennes. Je les altère, je les fais couler, je les transforme pour obtenir des images plus picturales, qui créent des scènes oniriques.
Puis s’ajoutent les installations, la vidéo, tout ce qui gravite autour du récit. C’est parfois une grosse production au départ, et ensuite c’est comme un entonnoir : je ne garde que les images, les sculptures qui m’intéressent vraiment.
Quand tu exposes, tu dirais que tu as aussi un rôle de scénographe, vu l’aspect immersif de ton travail ?
Oui, j’essaie toujours de travailler en fonction de l’espace. Par exemple, l’année dernière, j’ai eu un solo show dans une galerie avec un mur arrondi à l’entrée et une grande verrière. J’ai pensé l’exposition en lien direct avec cet espace.
Je l’ai imaginée comme une villa. À l’étage, il y avait des pièces avec un sol en bois qui faisaient très appartement. Du coup, j’ai construit une scénographie avec une entrée marquée par un grand paysage, puis des choses plus douces, pour finir dans des chambres plus violentes, où il y avait beaucoup de représentations masculines.
J’essaie vraiment de créer une déambulation dans mes projets.
Dans l’histoire de l’art, les femmes ont souvent été représentées par des hommes. Est-ce que c’était important pour toi de changer ce prisme, de représenter des hommes autrement – et pas des femmes objectifiées par un male gaze ?
Oui, c’était hyper important. Et comme ça part de mon intimité, je voulais représenter des corps auxquels je peux m’identifier. Mais dans mon travail, il y a aussi une grosse critique du corps stéréotypé, masculin, gay – souvent dans des rapports de domination.
Je trouvais intéressant de récupérer ces corps sur Internet, de les remettre en scène pour évoquer tout un imaginaire homosexuel très stéréotypé, et parfois violent dans la manière dont les corps sont montrés.
Artiste : Quentin Formont
Journaliste : Zoé Térouinard
Vidéaste : Ervin Chavanne